« Une autre biographie de Champlain ! », font semblant de s’étonner Raymonde L’Italien et Denis Vaugeois en préface de l’ouvrage d’Éric Thierry Samuel de Champlain : Aux origines de l’Amérique française (Septentrion, 2024). Pourquoi pas ! Lui-même grand explorateur des œuvres de Champlain, Thierry propose une biographie remarquable, tant par la richesse de son contenu que la qualité de son écriture, de celui qui aura occupé ses recherches depuis plus de trente ans. On navigue agréablement dans ce récit de plus de 700 pages, dense et rigoureux, de la vie d’un explorateur audacieux.
Fort de ses trouvailles récentes dans les archives, Thierry refuse pourtant de reconnaître sa biographie comme « définitive » — contrairement à ce qu’avait prétendu David Hackett Fischer il y a quelques années dans sa biographie Le rêve de Champlain —, et préfère laisser des questions en suspens lorsque les sources n’offrent pas de réponses satisfaisantes. Toutefois, le spécialiste de la Nouvelle-France peut avancer avec certitude que Champlain avait un rêve : celui d’une France et d’une Amérique unies dans la chrétienté.
En ces premières décennies du XVIIe siècle, Champlain est bien au fait du pouvoir de l’écrit, surtout lorsque celui-ci est destiné aux hommes du gouvernement. Il en use allégrement avec ses récits de voyage, se donnant le bon rôle, évoquant des endroits qu’il n’a pas toujours visités, arguant de la nécessité d’un monopole de la traite « pour permettre une réelle prise de possession » ou, homme en disgrâce après la « catastrophe de 1629 » (la prise de Québec par les frères Kirke), s’en prenant aux « médisances des méchants », surtout celles d’un Guillaume de Caen, l’accusant d’avoir trahi le roi. Mais Éric Thierry nous rassure: la plupart des textes de Champlain ont valeur de vérité.
Le biographe nous fait saisir admirablement le contexte de l’époque, celui d’un roi, ou d’une régente, de France, préoccupé d’abord par les luttes intestines en Europe, les alliances entre États, les querelles religieuses, les révoltes des Grands. Pas toujours facile, donc, pour Champlain, d’obtenir l’attention pour ses projets américains. Mais lorsque le souverain rêve, à nouveau, d’expansion lointaine, d’implanter la France en Amérique, Champlain sait alors se montrer indispensable, puisqu’il connaît les chemins menant, peut-être, à la Chine, car il a forgé des alliances commerciales avec des habitants de là-bas, la vaste ligue des Algonquins et des Montagnais. Champlain, surtout, sait mettre en valeur ses talents de cartographe. Les cartes sont instruments de pouvoir, outils de domination : « cartographier le monde, c’est cartographier la richesse ». C’est avant tout en préserver le secret. Les Autochtones n’ont pas su se méfier de l’ami Champlain qui souvent, convoyé de rivière en rivière, de lac en lac, cachait le véritable objet de sa mission.
Éric Thierry ose aussi nous parler de la « puissante imprégnation du facteur religieux qu’on ne veut plus admettre ». L’aventure de Champlain, c’est également une « épopée mystique ». Ses préoccupations religieuses vont grandissantes dans ses écrits, surtout au début des années 1620, alors que les dévots deviennent prépondérants dans l’entourage de la régente Marie de Médicis. Champlain parvient à faire abjurer le protestantisme de sa très jeune épouse Hélène de Boullé, cherchant, par la suite, à faire chasser les huguenots de la Compagnie de Caen. Champlain, surtout, s’évertue d’instruire, « d’humaniser », ces Autochtones « impudiques et matériels », dont il est extrêmement curieux. L’opération commerciale qu’est au départ la Nouvelle-France s’accompagne aussi, avec l’arrivée des récollets, puis, en 1625, des jésuites, d’une opération missionnaire. Et lorsqu’on songera, pour mieux les convertir, à sédentariser les Autochtones, à les mêler à des familles chrétiennes, par l’intensification du peuplement, pour les séduire par l’exemple, cette sédentarisation, impropre à la traite des fourrures, entre en contradiction avec l’opération commerciale.
Champlain, « champion de la conversion des indigènes de la Nouvelle-France », acteur de « la réforme catholique en Amérique du Nord », ruminait un grand dessein. Chrétien humaniste, il rêvait d’une paix, d’une grande alliance avec les Iroquois, permettant d’étendre sa Croisade triomphante jusqu’à la vallée de l’Hudson, jusqu’aux rives de cette île de Manhattan qui allait devenir New York. Un projet contré, en 1624, par les Hollandais.
Certes, près de quatre siècles après son décès, un jour de Noël 1635, son corps retourné à la poussière, dissous, quelque part, sous une rue de la vieille ville fortifiée, Champlain peut se dire heureux qu’on parle encore français à Québec, mais n’éprouve-t-il pas une quelconque déception, lui qui a accompli sa mission pour « la plus grande gloire du Roi et de Dieu », de voir son héritage chrétien s’évanouir ?
Samuel de Champlain
Éric Thierry propose une biographie renouvelée du « père de la Nouvelle-France ». Il plante le décor de la France de Henri IV et de Louis XIII, marquée par les guerres de religion et les révoltes des Grands. Il nous emmène dans une Amérique du Nord divisée par des conflits entre nations autochtones et en proie aux convoitises des puissances européennes. Il nous révèle le destin hors du commun d’un jeune cartographe formé dans un service de renseignements, d’un explorateur éprouvé par de rudes expéditions, d’un colonisateur déçu par l’ingratitude des puissants et de l’artisan d’alliances devenu le bâtisseur d’une Amérique métissée.
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