Brûlé entre deux mondes

Christian Vachon - 27 mars 2023

On connait peu de choses sur Étienne Brûlé, ce jeune compagnon de Champlain envoyé apprendre les langues autochtones. Ce qu’on en sait, sa « traîtrise », n’est guère enviable. Arnaud Maïsetti, enseignant-chercheur en théâtre vivant à Marseille, un de ces habitants de là-bas fasciné par notre ici, redonne pourtant vie à ce « destin minuscule », qu’il soupçonne d’être vibrant, dans son roman Brûlé vif paru cet hiver aux éditions de l’Arbre vengeur. Il faut l’en remercier.

Maïsetti n’est pas historien, préférant scruter les âmes plutôt que les faits, pensant les choses poétiquement, soustrayant de sa plume ardente le langage à l’emprise des clichés, nous offrant finalement une vie d’Étienne Brûlé faite de « longues éclipses interrompues par de brèves éclaircies ». Vraisemblable, remarquable, exemplaire :  l’aventure oubliée, le récit douloureux du premier Européen qui fera « l’expérience radicale de l’autre monde », le seul à prétendre être le découvreur de sociétés. Plus on en apprend sur les mérites de Brûlé, plus le prestige de Champlain s’estompe.

« L’enfant » – il a à peine quinze ans lorsqu’il débarque en Amérique en 1608 – n’est pourtant « rien » :  il n’est ni maçon, ni charpentier. Il ne sait ni lire, ni écrire. Il possède toutefois cet art de retenir les langues, un atout suprême pour ce Champlain acharné à négocier un monopole, mais incapable de dire un traître mot en langage wendat ou algonquin. Il va l’envoyer s’enfoncer au cœur des forêts (car « on ne vient ici que pour traverser »), se rendre maître de ces mots : « pour l’être des sauvages qu’il n’entend pas ». [La librairie Pantoute est consciente que la citation utilise une appellation offensante et dépassée. Elle n’encourage pas l’utilisation du mot « sauvage » pour parler des Premières Nations.]

Donc Brûlé – « qui d’autre pouvait être assez fou pour le faire ? » – va effectivement s’enfoncer au cœur du continent, devenir « l’homme d’Occident le plus à l’ouest du monde », le premier peut-être à pénétrer jusqu’au Minnesota. S’enfoncer, aussi, sera son karma dans la culture de l’Autre. Il n’est plus d’ici, tout en n’étant pas de là-bas. Il se contente d’exister, solitaire, suscitant les regrets et le dégoût même chez Champlain.

« Le renversement doit s’accomplir », soutient Champlain, « on ne sera maître des terres qu’en l’étant des corps », mais lorsqu’il regarde Brûlé, il ne voit qu’une personne mal vivant, le « contraire de Dieu », un jeune garçon capable uniquement de traverser le paysage, sans capturer les âmes.

« Maudit Brûlé ! Il faudrait pouvoir s’en passer, mais comment ? » Il trouve la solution chez les Jésuites où un certain Sagard, par la menace, obtient tout ce qu’il veut de Brûlé pour composer un dictionnaire, le récompensant en le jetant de force dans un navire pour la France.

Brûlé, là-bas, ne redevient plus ce qu’il était.  Tentant de retourner en Nouvelle-France, il est capturé sur un vaisseau par les Anglais. Il dit oui au corsaire Kirke, partant s’emparer de Québec, « parce que le non n’est pas envisageable » : « Puisqu’on est là, il faut bien y aller ». Et que signifie une allégeance « quand on dort sous la protection du clan de l’Ours » ?

Et Brûlé, traître à sa foi, à son Roi, à sa nation; Brûlé déchiré; Brûlé, ne demeurant nulle part, aura finalement le crâne défoncé par les Wendats, car ni les uns ni les autres ne veulent le reconnaître comme l’un des leurs.

Soyons, une nouvelle fois, reconnaissant à Maïsetti de faire réapparaitre ce fantôme de notre passé, ce Brûlé, désireux d’être à l’écoute des autres et de leur langue, parvenant, plus que nul autre, à accomplir ce « rêve de l’ailleurs sans conquête. »

– Christian Vachon (Pantoute), 26 mars 2023

Histoire

Brûlé vif

Arnaud Maïsetti - L'arbre vengeur

Le récit romancé de la vie d'Etienne Brûlé, jeune homme engagé comme mousse qui, au côté de Samuel de Champlain, participa à la découverte et à la conquête du Québec.

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