Ça, c’est du spore !

Christian Vachon - 3 septembre 2024

Quelle heureuse initiative de l’éditeur québécois Multimondes que cette traduction – conservant le même titre – du Fungi : Discover the Science and Secrets behind the World of Mushroms des pétillantes mycologues et vulgarisatrices scientifiques britanniques Lynne Boddy et Ali Ashby. Le lectorat francophone peut maintenant lui aussi profiter d’un ouvrage doublement attirant et éclatant, tant par son contenu visuel (des illustrations à chaque page) que par son propos.

Ils ont de quoi étonner ces champignons : des desserts asiatiques à la toundra arctique, avec leur cinq millions d’espèces, en grande partie invisibles, microscopiques,  plus près de l’animal que du végétal (car, au contraire des plantes qui fabriquent leur propre nourriture, ils doivent trouver et digérer de la matière organique morte), prospérant partout, même en notre microbiote intestinal, là où il y a présence de bouffe et d’humidité, régnant sur Terre depuis plus de 2,4 millions d’années, associés des arbres et quelques invertébrés et oiseaux, pouvant se passer de l’homme, mais pas l’inverse. Ils sont combatifs, ces champignons, mais ils sont quelque peu troublés, en différents endroits de notre monde, par le manque de bois mort.

Au chapitre II, Lynne Boddy et Ali Ashby nous enseignent comment ils vivent, communiquent et partent à la recherche de nourriture grâce à ce mycélium, ce réseau de filaments sous le sol, forçant le passage, trouvant des ouvertures dans l’armure de leur hôte, dénichant des plantes à lesquelles s’associer ou du bois décomposé à manger. Quand vient le temps de se reproduire, des millions de spores fongiques (l’équivalent des graines des plantes à fleurs) voyagent. Lorsque des millions de tonnes de spores (ça, c’est du spore !) sont libérés dans l’atmosphère, ils peuvent même participer à la production de nuages de pluie.

Au chapitre III, Boddy et Ashby nous dévoilent comment les champignons interagissent avec l’environnement, faisant de l’association (les racines de 90% des plantes forment des associations mycorhiziennes : on offre du sucre au champignon, en échange d’eau et de nutriments) une incroyable réussite… qui est parfois le cauchemar des jardiniers (70% des maladies des plantes sont dues aux champignons). Sachez aussi qu’une gamme variée de champignons microscopiques vit sur tous les humains, sans exception, nous aidant à « développer notre immunité», et que, imitant les Hommes, des champignons guerriers entrent en compétition, à l’aide d’un arsenal d’armes chimiques, pour l’espace et les nutriments, provoquant des batailles, sur un bois pourri par exemple, et qui aboutissent souvent à une impasse.

Les deux mycologues nous apprennent au chapitre IV comment les champignons cherchent maintenant à s’adapter, à prospérer dans de nouveaux territoires.  Bien des habitats sont perdus à cause de l’artificialisation des terres. « Laissez le bois mort sur le sol ! »

L'illustration en couleurs montre différents champignons et leurs semblables.
Champignons vénéneux et leurs similaires comestibles. Illustration tirée du Larousse médical, 1912.

Les champignons se dissimulent en des lieux inattendus, apprenons-nous au chapitre V : grottes, dunes et même dans l’eau et le permafrost. « Ils se cachent le plus souvent, ne deviennent visibles que lorsque leurs sporophores sortent du sol. » Des indices de pourriture, bien sûr, permettent de détecter le champignon. La pezize verdissante donne même au bois cette teinte verte très appréciée des ébénistes. D’autres espèces forment, dans les forêts, ces « ronds de sorcières » qui captivent l’imagination des hommes depuis des centaines d’années. L’audace fongique ne connait pas de limites : mers et océans grouillent de milliers d’espèces de champignons lilliputiens.

Les chercheuses britanniques nous aident aussi à les observer, au chapitre VI, à les identifier en détaillant leurs caractéristiques (aspect du chapeau, spores et sporées, …), tout en nous prévenant de l’existence de « sosies dangereux » (la girolle peut être confondue avec la pleurote de l’olivier et la fausse chanterelle, tous deux vénéneux).

Elles nous invitent à les cultiver, dans le chapitre VII (apprenez qu’il faut être patient avec la truffe : produire ses sporophores, dans le sol, en étroite association avec les arbres, demande sept à dix ans; vingt ans pour atteindre un niveau commercial), à les célébrer (chapitre VIII), dans les arts, le folklore, la musique (des spores libérés dans l’atmosphère peuvent générer des sons, s’ils traversent le faisceau lumineux d’un laser) et les rituels (qui ne connait pas le pouvoir « surnaturel » de certains champignons ?). Souvenons-nous, entre autres, de cette chenille bleue que croise Alice, dans son « pays des merveilles », fumant le narguilé sur ce qui est, peut-être, un amanite tue-mouche « aux propriétés psychédéliques ».

Les champignons permettent non seulement de festoyer, mais aussi de soigner comme on l’apprend au chapitre IX : la pénicilline, découverte « par surprise » en 1928, est produite en grande quantité grâce à un ascomycète. Les champignons offrent également des soulagements « psychiques » : les grains noirs de l’ergot du seigle, une structure fongique de survie pour se protéger de la sécheresse, provoquent un effet débilitant si on les mange. Un de leurs composés sera… le LSD.

Les champignons, enfin, ont de multiples propriétés utilitaires, nous informe le chapitre X. Les lecteurs des aventures de Spirou et Fantasio, familiers des trouvailles du comte de Champignac, n’en sont guère surpris ! Une mycotechnologie émerge, tentant de profiter de ce super matériau très fin et très fort qu’est le mycélium. Des teintures fongiques profitent de ses coloris naturels : violet, jaune vif, bleu-vert, sont en usage dans l’industrie de la mode. La modiste Stella McCartney propose maintenant des sacs de luxe réalisés à partir de mycélium cultivé. La texture charnue de certains mycéliums, débordante de protéines, peut servir d’alternative à la viande. Mieux : 90% des détergents ménagers contiennent des amyloses fongiques, des enzymes qui décomposent l’amidon en sucres.  Encore mieux : les champignons peuvent même résoudre le problème des déchets. Les enzymes de certaines espèces peuvent, semble-t-il, décomposer à peu près tous les détritus, des produits chimiques toxiques jusqu’aux plastiques à usage unique.

Dans les champignons, il y a mieux qu’un schtroumpf grognon.

– Christian Vachon (Pantoute), 1er septembre 2024

Biologie

Fungi

Lynne Boddy et Ali Ashby - Multimondes

Ils sont d’une importance cruciale pour le bon développement des écosystèmes, mais pas seulement ! Les champignons sont omniprésents, et jouent souvent un rôle insoupçonné dans notre quotidien. Certaines de ces espèces ont des propriétés thérapeutiques qui peuvent en effet sauver des vies, tandis que d’autres ont d’incroyables pouvoirs culinaires, comme faire pétiller le champagne, ou accentuer le goût du chocolat. Grâce à ce livre complet bien vulgarisé et entièrement illustré, vous apprendrez tout sur la science, les secrets et les vertus de ces organismes fascinants.

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