Le rêve de plus d’un demi-siècle des monarques français d’une domination du nord de la péninsule italienne se brise définitivement, le 24 février 1525, par une déroute totale devant les troupes de l’empereur Charles Quint à Pavie : plus de 8 000 morts et prisonniers (Julien Guimond, dans son Pavie 1525, aux éditions Perrin, nous fait le récit de cette défaite), dont le roi François 1er lui-même. « Tout est perdu fors l’honneur », dit-il. Ou, plutôt, « De toutes choses ne m’est demeuré que l’honneur et la vie qui est sauve, » évoque-t-il pour se remettre de ce fiasco.
Rien d’honorable, il y a cinquante ans, à cette fin de l’intervention américaine au Sud Vietnamle 30 avril 1975. Cet événement est marqué par l’évacuation chaotique du personnel de l’ambassade U.S. à Saigon et cela deux cents ans après les victoires, plus gratifiantes, un 13 avril 1775, des insurgés du Massachusetts face aux troupes britanniques à Lexington et Concord. Le président Gerald Ford, en invoquant une violation flagrante des accords de Paris de 1973, pouvait contrer l’offensive nord-vietnamienne par des frappes aériennes, les troupes terrestres américaines étant retirées de l’Indochine depuis des mois; on préfère plutôt reléguer cette guerre à la perte, sans profits, et miser sur la détente avec l’adversaire soviétique, notamment par cette mission Apollo-Soyouz, ce rendez-vous orbital qui doit se tenir au mois de juillet 1975. L’innocence perdue (titre évocateur) de Neil Sheehan, publié au Seuil en 1990 (l’ouvrage est malheureusement épuisé), nous démontre, à travers le parcours de l’officier idéaliste John Paul Vann, comment les États-Unis, tant désireuses à exporter la liberté au peuple vietnamien depuis la fin des années cinquante, vont, par aveuglement et bêtise, et malgré la surabondance des moyens militaires, finir par perdre cette guerre.
Les Sud-Vietnamiens, ne l’oublions pas, soumis à un régime totalitaire depuis cinquante ans, demeurent tout de même les grands perdants de ce conflit. Olivier Todd, avec La chute de Saigon, publié chez Perrin dans sa collection « Tempus » en 2011, nous le rappelle : grand reporter du Nouvel Observateur, il était sur place, à Saigon, lors de ce « cruel mois d’avril 1975 ». Il a vu comment les arrogants « seigneurs du Nord », habiles manipulateurs de la presse, imposaient impitoyablement leur image de « libérateurs ».
Ils sont tout de même un peu moins radicaux que ces Khmers Rouge, ces Nord-Vietnamiens, Khmers qui, en l’espace de quelques heures, le 17 avril 1975, vident Phnom Penh, la capitale du Cambodge voisin, de ses habitants après s’en être emparés. Que préparent-ils ? Quelque chose d’horrible, nous ne le devinons que quelques années plus tard : le génocide de leur propre population.
Ailleurs, avril est aussi cruel : le 13 de ce même mois, il y a cinquante ans, vingt-sept Palestiniens sont tués lors du mitraillage d’un bus, à Beyrouth, par des miliciens chrétiens dans le quartier d’Ayn El Remmaneh. C’est le commencement d’une guerre, d’une longue guerre, d’une interminable guerre, qui va ensanglanter le Liban et qui va impliquer, tour à tour, Palestiniens, maronites, chiites, sunnites, druzes, Syriens, Israéliens et même Américains. Que s’est-il réellement passé ce jour-là ? Le journaliste Marwan Chahine fait l’autopsie de cette étincelle dans son Beyrouth, 13 avril 1975, édité chez Belfond à l’automne 2024, retrouvant, un à un, les protagonistes de cette « affaire aussi taboue que sulfureuse », rassemblant les « innombrables pièces de ce puzzle tragique où la réalité dépasse bien souvent la fiction ».
« Plus jamais la guerre ! » : ils voulaient bien y croire, cinquante ans plus tôt, le 1er décembre 1925, les Allemands, Belges, Français, Italiens et Britanniques signataires des accords garantissant la sécurité collective en Europe à Locarno. L’Allemagne, entre autres, renonce à ses ambitions territoriales… du moins à l’ouest. L’optimisme s’avère trompeur.
Surtout qu’un bouillant politicien allemand à peine sorti de prison, un ultra-nationaliste, revanchard, belliqueux, antisémite, et dont le parti, le NSDAP, vient à nouveau d’être autorisé, publie son manifeste Mein Kampf (Mon combat en français) quelques mois plus tôt, le 18 juillet 1925. C’est un ouvrage confus, semé de longues digressions, mais franchement explicite quant au rêve de l’auteur, Adolf Hitler, d’une expansion du peuple germanique à l’est. Son succès, rassurons-nous temporairement, reste modeste jusqu’en 1929, jusqu’à ce qu’une crise économique et financière fasse tout dérailler. Une nouvelle traduction du texte Historiciser le mal : une édition critique de Mein Kampf, édité chez Fayard, permet, par ses 3 000 notes, « de lire cette source selon une exigence scientifique ». Le chercheur Antoine Vitkine, dans son Mein Kampf, histoire d’un livre, disponible chez Champs Flammarion depuis 2020, tente de comprendre les raisons pour lesquelles l’ouvrage continue de se vendre à Bombay, au Caire et à Istanbul, ou « de susciter la crainte ».
Finie, pour l’instant, en cette même année 1925, l’exportation de la révolution par l’URSS. Staline fait adopter, avec l’aide de Boukarine, lors du XIVe Congrès du Parti communiste le 18 décembre, la politique du « socialisme dans un seul pays ». Il s’agit du développement d’une économie planifiée qui ne sera assurée que sur le seul territoire de l’Union soviétique. Trotski, pour qui seule la révolution mondiale peut sauver l’URSS, est fort mécontent. Pour lui, pour bien d’autres opposants, en fait, et pour des millions d’habitants, le pire reste à venir.
On se prépare activement, soixante-quinze ans plus tard, à l’approche de l’an 2000, au pire, à une fin du monde : un bogue informatique, un problème identifié en 1995 pourrait mener au chaos, à une panne générale. Des dates formulées dans les systèmes informatiques risquent, lors du passage au nouveau millénaire, de mener à un retour à l’an 1900. Ce ne sera finalement que « beaucoup de bruit pour rien », qu’un bogue inoffensif qui coûtera tout de même plus de quatre milliards de dollars en termes de mesures préparatoires et sécuritaires et ce, uniquement aux contribuables canadiens.
– Christian Vachon (Pantoute), 5 janvier 2025
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