Changer sa vie et celle d’autrui : France l’humanitaire

Christian Vachon - 28 juillet 2022

À quarante ans, au milieu des années quatre-vingt dix, France Hurtubise plaque tout, vend tout : condo, voiture, garde-robe, donne un tout nouveau sens à sa vie, offre ses vingt ans d’expérience dans le monde de la publicité, du marketing, à la Croix-Rouge.  Près de trente ans plus tard, elle nous fait enfin partager son périple altruiste, sur quatre continents, à travers les guerres et les catastrophes. Dans Grandeur et dénuement, publié ce printemps 2022 chez Somme toute, elle dresse un portrait sensible, non dénué de questionnements, d’un quart de siècle d’interventions humanitaires.

En Afrique, au Congo, elle part en 1994 pour son premier rendez-vous avec l’humanitaire, du côté des génocidaires hutus (« nous ne sommes pas là pour juger ») fuyant le Rwanda. Ce voyage est marqué par un premier choc « avec ces corps échoués sur le bord de la route (…), cette odeur épouvantable de la mort à l’approche des camps ».  C’est pourtant le début, de crise en crise, d’une histoire d’amour avec ce continent, de quoi nous interroger sur notre mépris et notre ignorance.

Elle va y retourner souvent, entre autres au Soudan du Sud (où elle confronte un serpent cobra dans son logis), et, à nouveau au Congo, terre de l’Ebola, emportant, avec elle, une trousse d’urgence en cas de viol.

France Hurtubise nous transporte en Asie, en Chine tout particulièrement, qui, pendant deux ans (en 2002 et 2003) va subir des catastrophes de toutes sortes :  inondations ici (on dévie les eaux vers des villages pour sauver des villes) et sécheresses ailleurs, entrecoupés d’un tremblement de terre, de cas de toxicomanies au Yunnan, et d’une épidémie de SRAS (faisant déjà de Beijing une ville fantôme) ; une Chine, surtout, travail délicat pour la spécialiste des communications, « qui ne tolère pas de perdre la face ».

Cette dernière nous emmène aussi en Mongolie, où on lutte pour la survie du bétail en temps glacial, et en Corée du Nord, « où les établissements de santé semblent dater du XVIIIe siècle ».

Elle vit, également, deux mois marquants à l’automne 1995 à Sarajevo ; une mission où elle va, pourtant, craquer, se sentir incapable de continuer. Pourquoi ? « Il y avait quelque chose de foncièrement malsain dans le portrait qu’on faisait de cette ville assiégée ». Nous y reviendrons plus loin.

France se rend, en outre, en 1997, en Albanie, dans un pays en pleine chute financière, à Tirana, la capitale, « où la confusion est totale, et la loi et l’ordre quasi inexistants ».  Elle y découvre, toutefois, que la générosité et le talent y sont « des secrets bien gardés ».

Autre terre de mission :  la frontière canado-américaine, où elle accueille, en 2017, pour la Croix-Rouge, sur le chemin Roxham, « les infortunés à la recherche d’une vie meilleure ».

Et il y a « l’éternel retour haïtien », près d’une dizaine de missions, toujours de grands défis (tremblements de terre, ouragans…), depuis le début des années 2010, dans ce pays des Antilles, où, « malgré des expériences désolantes », elle n’hésite jamais à revenir.

Travailler dans l’humanitaire, elle l’affirme, sans gêne: « c’est un peu comme avoir une dépendance à une drogue dure, on peut difficilement s’en passer ».

Elle s’offre parfois de petites pauses, « pour tolérer le chaos et la détresse », comme des moments d’évasion en Italie, de méditation au Népal. De belles aventures amoureuses surgissent à l’improviste.

Toutefois, travailler comme déléguée aux communications, pour la Croix-Rouge, « c’est un peu comme escalader le K2, un défi très énergisant que la plupart abandonnent en cours de route ». C’est « savoir patiner » avec des journalistes, cognant sans cesse à votre porte, en évitant toute déclaration ayant un impact politique, toute condamnation unilatérale.

Mais, en Bosnie, la limite est atteinte.  Elle n’est plus en mesure de respecter les principes de neutralité et d’impartialité, faisant le constat que, dans cette guerre civile, l’information est, aussi, une « victime collatérale » : « chaque parti tire sur sa propre population pour pouvoir ensuite accuser l’ennemi.  Les médias d’information ont eu un rôle déterminant dans l’aggravation du conflit en raison d’une couverture sensationnaliste ayant exacerbé les tensions ».

Aujourd’hui, le sensationnalisme continue de faire des ravages, tout comme cette peste de « l’information en continu » : « les images, les vidéos, les histoires courtes et la transmission immédiate de l’information sont maintenant la norme (…). Aucun espace pour la réflexion et le recul (…). Il se pratique de plus en plus un journalisme bas de gamme, à distance, un journalisme déconnecté de son essence ». Elle témoigne de cette dérive de la « désinformation », constatant, de façon frappante, lors de ses dernières missions en Haïti, que, malgré de multiples briefings en ce sens, livrés aux journalistes, ceux-ci refusent « d’apporter des notes positives sur le pays ».

France Hurtubise est peut-être indignée, mais jamais elle ne s’avoue désespérée : « Je crois que l’amour et la bienveillance nourrissent la résilience, qui l’emporte toujours sur la bêtise humaine ».

Et France insiste : elle n’est pas la protagoniste principale de ce récit : « Notre contribution est très petite si on la compare aux efforts déployés par les gens et leurs communautés qui combattent l’adversité par des exploits d’ingéniosité, de courage et de force. Ce sont eux, les héros, pas nous ».

Un regard autre, fortement apprécié, sur le combat humanitaire.

 

Biographie & Faits Vécus

grandeur et dénuement. 25 ans à parcourir le monde à travers guerres et catastrophes

France Hurtubise - Somme toute

À la fois tissé d’indignation et d’espoir, ce témoignage poignant livré en temps réel est celui d’une communicatrice projetée au cœur de conflits qui s’interroge sur les défis de l’information. L’autrice nous transporte avec elle dans les camps de réfugiés du génocide rwandais, au cœur de Sarajevo en guerre, sur des scènes de dévastations auprès des victimes d’inondations en Chine, en passant par les steppes mongoles, les périls de la Corée du Nord, les ravages du tremblement de terre en Haïti et ailleurs encore, en nous faisant vivre toute une gamme d’émotions. L’écriture fine et évocatrice confère un éclairage ultra réaliste à ce récit époustouflant, parfois drôle, toujours sensible.

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