Il aura fallu plus de cinquante ans, depuis l’arrivée du premier véhicule à moteur, au mois de juin 1897, pour que l’automobile triomphe enfin dans la région de Québec. Cette première automobile est arrivée en pièces détachées et était la propriété du chirurgien-dentiste Henri-Edmond Casgrain. Pourquoi cette bataille, commencée par ce pionnier, fut-elle si longue ? Étienne Faugier, historien de Lyon et président de l’association Passé-Présent-Mobilité, nous l’explique dans Les Québécois au volant : La révolution de l’automobilisme dans la région de Québec XIXe-XXe siècles, publié chez l’éditeur Septentrion. Il s’agit d’un essai savamment réfléchi et abondamment documenté, aux multiples tableaux, mais au ton parfois un peu trop didactique. Ce texte nous présente comment la culture mobiliaire des gens de Québec et de sa région, tombant sous le charme du véhicule motorisé, va tranquillement se transformer.
Au départ, il n’a rien d’attirant ce dispendieux joujou, ce véhicule automobile difficile à entretenir (il faut faire appel au forgeron pour réparer l’engin; ce n’est seulement qu’à la fin des années trente que des garages fleuriront dans la région), difficile à « abreuver » (en 1940, il n’y a encore aucun détaillant d’essence sur la rive-nord de la région de Québec), difficile, surtout, à utiliser douze mois par année. La plupart des chemins, en dehors de la ville de Québec, ne sont pas déneigés l’hiver.
Véhicules hippomobiles et chemins de fer étant les seuls efficaces l’hiver, les poids lourds et les autocars tardent aussi à s’imposer. Les marchandises et les passagers voyagent si bien par les trains et le cheval bien-aimé domine plus que jamais à la campagne.
Deux institutions, toutefois, vont bouleverser cette culture mobiliaire conservatrice des Québécois en instillant un réel besoin économique et récréatif de mobilité. Il y a d’abord ce ministère de la Voirie, créé en 1914, qui, profitant d’un consensus progressif autour de cette nécessité d’entretenir de bonnes routes, va élaborer un réseau routier efficace et uniforme qui relie Québec aux autres pôles récréatifs et économiques de la province. Ce réseau permet l’ouverture du pont de Québec à la circulation automobile au cours des années 20. Il permet aussi de s’atteler, avec les autres provinces, à ce projet d’une route transcanadienne et de mettre en branle les premières campagnes de prévention routière.
Il y a aussi, et c’est la grande trouvaille de monsieur Faugier, cet impact méconnu du CAQ, ce Club Automobile de Québec fondé en 1912, alors qu’il n’y a que 50 automobiles dans la capitale provinciale. Ce club va progressivement faire acquérir une visibilité à l’automobile au sein de la société, offrant son service routier d’urgence dès 1922, installant le « goût du voyage », souhaitant que le ministère de la Voirie s’investisse davantage dans la pose d’une signalisation routière : il faut « signaler le paysage, signer le territoire ». En 1927, une quinzaine d’inscriptions historiques parsèment déjà les chemins de la région de Québec.
Il faut attendre la fin des années 40 pour que la voiture automobile se démocratise réellement et qu’elle triomphe des autres modes de transport. Cette domination fait suite, entre autres, à l’ouverture de la plupart des routes à longueur d’années, un réel besoin économique qui rend le déneigement hivernal indispensable. Le chemin de fer, valorisé longtemps par les gouvernements provincial et fédéral, s’efface structurellement devant l’émergence du camionnage et du transport par autocar plus souple d’usage. Le cheval, passé d’une position centrale à une position périphérique sur les routes, perd également la bataille des champs. Signe de ce réel besoin de mobilité des populations rurales, les cultivateurs se mécanisent : en 1956, 47% des fermes comptent des tracteurs. Des 300 000 chevaux de 1950, il n’y en a plus que 129 000 en 1960.
Entre 1950 et 1960, Québec bascule définitivement dans l’automobilisme. Le tourisme automobile réaménage les sites touristiques et les modernisent. En 1955, on dénombre plus de 500 hôtels et motels dans la région de Québec. Vélocité et mobilité, avec un appui massif de la population, amènent une extension de Québec vers sa périphérie. C’est alors l’essor des banlieues et de son symbole : le bungalow. De nouveaux pôles commerciaux, avec leurs immenses terrains de stationnement, surgissent : les centres d’achats de Place Sainte-Foy, en 1958, des Galeries de la Canardière, en 1960, et de Place Laurier en 1961. Les problèmes de congestion au pont de Québec deviennent sérieux. En 1949, déjà, on évoque un projet de tunnel.
Lors des années 1960 et Québec et sa région embarquent à fond dans l’automobilisme. Ce sera le tout à l’auto, avec les cinés-parcs et les services de restauration rapide notamment, mais l’histoire s’arrête là pour Étienne Faugier. Ce qui dépasse cette moitié du vingtième siècle est encore trop contemporain pour son étude historique du phénomène.
Cette dépendance à l’automobile est extrêmement contestée aujourd’hui, mais l’auteur, lui aussi fort soucieux à ce sujet, invite à garder à l’esprit que l’automobilisme, soit ce désir de mobilité individuelle, « demeure inextinguible », que déplacement et mobilité sont l’affaire d’une géographie particulière, mais aussi d’une histoire « qu’il faut ressusciter afin de ne pas se perdre en chemin ».
– Christian Vachon (Pantoute), 31 octobre 2024
Les Québécois au volant
Depuis la disparition du tramway en 1948, la ville de Québec repose principalement sur l'automobile. Face aux défis actuels de mobilité, comme le retour possible du tramway, la réduction de l'usage des voitures, et l'adaptation au changement climatique et à la fin du pétrole, cette étude cherche à comprendre comment les véhicules motorisés ont conquis les Québécois et comment s'est développé le réseau routier, ainsi que les conséquences économiques, politiques et culturelles de cette motorisation depuis la fin du XIXe siècle jusqu'au seuil des années 1960.
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