Jamais notre monde n’a connu aussi peu de conflits (eh oui, malgré l’Ukraine), « jamais la diplomatie n’a fonctionné assurément si vite, et probablement si bien ». Frédéric Encel, le grand spécialiste français de la géopolitique, ose prétendre cela et l’atteste fort bien, dans son édition actualisée (depuis 2015) publiée chez Autrement de ses Petites leçons de diplomatie : ruses et stratagèmes des grands de ce monde à l’usage de tous. Dans ce volume, il nous dévoile comment, lors des crises internationales des dernières décennies, les grands de ce monde (du moins, les élèves studieux), dans la lignée des Louis XI, Richelieu et Bismarck, parviennent à triompher, sans faire la guerre… ou presque. Ils passent par l’art du compromis ou en poursuivant la moins mauvaise des solutions. Tout ceci est encadré par quinze préceptes (« rester cohérent » et s’assurer d’un outil militaire efficace en cas de nécessité; « faire preuve de souplesse », ne serait-ce qu’en s’adaptant à ce nouveau monde arabe fragmenté; « savoir jouer des coudes », ou se poser en s’opposant; « bien comprendre l’adversaire », pour éviter les quiproquos désastreux; …)
Offrir l’illusion que la France demeure toujours une grande puissance, c’est à cela que parvient de Gaulle (leçon 4 : « Redorer son blason… ou comment rebondir quand on n’en a plus les moyens) lors de son retour au pouvoir, à la fin des années cinquante, faisant de sa patrie un acteur incontournable en lui tressant un des plus grands réseaux diplomatiques de ce monde.
Faire une guerre… pour obtenir la paix (leçon 7 : « Dissimuler ses intentions »), c’est cet objectif paradoxal que poursuit le dirigeant égyptien Anouar El Sadate, en octobre 1973, lors de sa « guerre de déblocage » contre Israël. But atteint : un nouveau rapport de force plus favorable à l’Égypte émerge et la diplomatie se remet à fonctionner tous azimuts.
« Se montrer menaçant, impressionner sans (forcément) lever le petit doigt » (leçon 6) : Israël use de cette posture face à l’Iran au milieu des années 2010, parvenant à obtenir des avantages conventionnels en armement de ses amis américains.
Étudiante compétente, Israël sait aussi « prendre ses adversaires à revers, en nouant des bonnes alliances » (leçon 9), identifiant les « bons » ennemis de ses ennemis, établissant tout récemment des relations diplomatiques avec les Émirats arabes unis et le Bahreïn.
« En matière diplomatique, une parole vaut acte » (leçon 3), un précepte oublié par Obama qui, après avoir solennellement averti le Syrien Assad que la ligne rouge sera franchie en cas d’utilisation des gaz de combat neurotoxiques, va faire marche arrière, un refus d’assumer sa stratégie menant à une perte de crédibilité face aux États de la Ligue arabe et aussi face à ses alliés nippon, sud-coréen et taïwanais. Obama peut-il tenir ses engagements ?
C’est le Russe Poutine qui triomphe alors, lors de cette crise syrienne de 2013, suggérant une retraite tactique à son ami Assad : neutraliser, hors de Syrie et sous supervision internationale les stocks de gaz neurotoxiques; une reculade permettant en fait au leader syrien de poursuivre la répression par d’autres moyens (leçon 2 : « Se donner le beau rôle, ou comment tordre le bras de ses amis pour mieux triompher »).
Enhardi par ce succès, Poutine, trop confiant, oublie quelques années plus tard ce précepte premier des stratèges : « ne jamais mésestimer les autres ». Il envahit l’Ukraine en février 2022, répétant l’erreur d’Israël lors des années 1867-1973, qui, sûre de son invincibilité et s’auto-intoxiquant de ses exploits militaires, maintient des forces squelettiques au Sinaï.
Ambitieuse, mais totalement incohérente, est la stratégie de la Turquie, menée par Erdogan, pilotant des initiatives diplomatiques tous azimuts (vers l’Asie centrale, vers les États islamiques conservateurs, …), s’amusant à un double-jeu avec l’OTAN dans un vain espoir, du moins pour l’instant, de faire de la nation turque une grande puissance régionale dominante et oubliant qu’en diplomatie, se disperser «n’est pas nécessairement la meilleure des manœuvres » (leçon 5 : « avoir le sens des priorités, ou comment éviter d’échouer sur tous les fronts »).
Lamentables, également, sont ces errements de la France lors de la crise rwandaise de 1990-1994. L’Élysée fait preuve d’un « réel aveuglement » quant aux réelles menaces d’un génocide, ignorant alors ce précepte diplomatique (leçon 15) : « éviter tout à la fois indifférence, cynisme et impréparations, ou comment s’épargner le retour du bâton ». C’est une sottise du règne de Mitterrand qui, depuis, pèse sur la politique africaine de Paris.
Aussi déplorable est l’attitude des diplomates de partout dans le monde, rassemblés aux Nations-Unies, tous oublieux de ce précepte douzième : « ne pas laisser pourrir, ou comment réagir à temps pour éviter des drames (« la leçon la moins retenue des décideurs politiques »). À titre d’exemple, nous rappelons qu’ils ont été incapables d’imposer une solution à ce chaos géopolitique régnant au nord du Congo depuis plus de trente ans, en ces lieux au centre de l’Afrique où le sort des millions de réfugiés, de déracinés rassemblés, demeure pourvoyeur potentiel de déstabilisation et de conflits ultérieurs.
Notre espoir repose, une nouvelle fois, sur cette leçon quatorzième de la diplomatie : « ne jamais désespérer, ou comment miser sur la ténacité ». L’auteur use de l’exemple de de Gaulle (encore lui) qui, en juin 1940, mise sur l’ingéniosité et la force collective, pense « en terme de grandes espaces » et sait que, si la bataille est peut-être perdue, la guerre demeure gagnable… si on sait jouer l’efficacité diplomatique (auprès des Américains surtout).
– Christian Vachon (Pantoute), 30 juillet 2023
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