De magnifiques farceurs

Christian Vachon - 26 août 2024

Donaldson, Celmas et Abel : ils sont de magnifiques farceurs, des êtres dangereux pour leurs amis qui dynamitent la comédie sociale par leurs canulars et ce, depuis deux siècles. L’espiègle Matthias Debureaux, auteur d’un commode Art d’ennuyer en racontant des voyages en 2015, relate les meilleurs de coups d’éclat burlesques de ce trio d’enfer dans Le coup de la tranche de jambon : une anthologie du canular, un souriant hommage à ces artistes de la subversion bouffonne publié chez Allary Éditions cet été 2024.

On y apprend :

  • comment, dès le XVIIIe siècle, Jonathan Swift, précurseur de cette vogue du canular (le mot lui-même surgit seulement au début du XXe siècle), rédige sous un pseudonyme une brochure de prédictions « listant des personnes célèbres appelées à décéder l’année suivante »;
  • comment, en 1810, Theodore Hook paralyse un quartier complet de Londres en faisant livrer, en six semaines, quatre mille fausses commandes à une même adresse;
  • comment, en 1910, Horace de Vere Cole (avec la complicité de Virginia Woolf et de son frère, entre autres !) humilie la Royal Navy en se déguisant en membre de la famille royale d’Abyssinie désireux d’inspecter des cuirassés;
  • comment, au début des années 1920, deux fillettes, Elsie Wright et Frances Griffiths, mystifient des personnalités honorables, dont Arthur Conan Doyle, en leur faisant authentifier des photographies d’elles en compagnie de fées et d’un gnome;
  • comment Alfred Hitchcock torture son entourage en abusant du coussin flatulent ou en les invitant à un « dîner en bleu » (chaque aliment est teint d’une couleur bleue « coupant l’appétit »);
  • ou comment, lors des années 1980, William Donaldson s’en prend à la première ministre Margaret Thatcher en l’inondant de lettres pleines d’ironie toutes signées sous Henry Root, ex-poissonnier (« Réduisez les subventions aux arts » est un bon exemple du sarcasme employé) .
La photo en noir et blanc montre une jeune fille photographiée dans la forêt. La jeune fille est accotée sur ce qui semble est un tronc d'arbre. Son menton est accoté sur sa main droite et elle regarde quelque peu à côté de la caméra. Ses longs cheveux foncés sont couronnés par ce qui ressemble à une couronne de fleurs pâles. Quatre petites femmes ailées sont devant elle, sur le tronc d'arbre. Elles dansent et jouent de la musique.
Frances Griffiths photographiée avec les supposées fées en 1917.

Matthias Debureaux dévoile aussi :

  • comment, à la fin du XIXe siècle, Alphonse Allais, pionnier de l’humour absurde, s’acharne sur un réputé économiste Paul Leroy-Beaulieu en lui attribuant des dizaines de citations atterrantes de banalités (« chaque peuple a ses usages » ou encore « les petits ruisseaux, à la fin de l’année, font les grandes rivières »);
  • comment, au milieu du XXe siècle, ce grand maître en loufoqueries qu’est Marcel Celmas terrorise les charcutiers par ce « coup de la tranche de jambon »;
  • ou comment, en 1976, l’éphémère MLF (Mouvement loufoque français) piège, lors d’un terrible attentat humoristique, le grandiloquent et pingre Léon Zitrone, en postant plus de 1 500 fausses invitations à des importuns qui vont faire une razzia de cocktails à ses frais lors d’une fête donnée au Café de la Paix.

Nous célébrons enfin quelques grands maîtres de l’American Hoax :

  • Alan Abel, le créateur de la « farce la plus longue de l’histoire » qui, tout au cours des années cinquante et soixante, fait la promotion de la Society for Indecency to Naked Animals (la SINA) et qui demande de faire porter des bermudas aux chevaux ou des combinaisons aux chats;
  • Mike McGrady, qui, sous le nom de Penelope Ashe, est l’auteur comblé de Naked Come the Stranger, le plus mauvais roman du monde (la révélation de cette mystification à la fin de cette année 1969 fait grimper les ventes);
  • Joey Skaggs, qui, en 1984, milite à New York pour le respect d’un code de bonne conduite podologique sur les trottoirs (les piétons doivent regarder où ils vont en marchant, les trottoirs doivent avoir deux voies : une lente et une rapide) et qui s’étonne de recevoir une vive adhésion de bien des citadins à ses suppliques;
  • Et ce magazine Spy qui, en 1990, désireux de mesurer la radinerie, envoie à quelques riches et célèbres un chèque pour remboursement d’un paiement en trop de 1,11$. Des personnalités, comme Cher et Michael Douglas vont effectivement récupérer ce montant ridicule. La revue récidive d’abord avec un second remboursement de 0,64$, puis un troisième de 0,13$. Il n’y a que deux finalistes pour cet ultime encaissement : le marchand d’armes Adnan Khashoggi… et Donald Trump.

De quoi nous proposer cette bonne morale : « tout homme a son prix, dans certains cas 13 cents ».

– Christian Vachon (Pantoute), 25 août 2024

Jeux & loisirs

Le coup de la tranche de jambon

Matthias Debureaux - Allary

Florilège des canulars des maîtres du genre, tels que Theodore Edward Hook, Victor Celmas ou encore Alan Abel.

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