La nature le sait, la mort n’est pas la dernière étape de la vie, et « pour d’innombrables insectes, c’est à son contact qu’elle commence ». Les mouches l’illustrent : elles pondent des œufs, qui deviennent des vers qui se développent sur les cadavres, leurs garde-mangers, leurs domiciles, et redonnent des mouches. Cette chorégraphie bien établie, et millénaire, de ces petites bouches affamées, jouant un rôle écologique essentiel, en nettoyant, vite et rapidement, les carcasses de la surface de la Terre, peuvent aussi nous aider, nous les Humains, à résoudre d’insondables affaires criminelles. Ils peuplent les morts, nous le dévoile, un essai teinté d’humour, publié chez Fage éditions, dans sa collection « Dilaceratic Corporis », qui, tout en alimentant nos connaissances sur la médecine légale, transforme cet univers, présumé repoussant, des mouches et asticots en monde de merveilles.
En moins de cent pages, l’auteur, Damien Charabidzé, un passionné d’insectes depuis sa jeunesse, devenu entomologiste médico-légal en France, nous livre l’essentiel sur cette denrée très disputée qu’est le cadavre, et son écosystème complexe, détaillant, en prélude, les principes de la décomposition (cinq stades, du cadavre « frais » à la squelettisation) et les insectes qui y sont associées.
C’est à l’étape de la putréfaction (alors que les bactéries, s’évadant du tube digestif, vont proliférer) que les mouches songent à prendre niche sur les carcasses. Huit escouades d’insectes, détaillées, il y a plus d’un siècle, en 1894, par l’entomologiste français Jean-Pierre Mégnin, dans sa Faune des cadavres, se succèdent, chronologiquement, sur les chairs en putréfaction.
La première escouade, des mouches pionnières, bleues ou vertes métallisées, peuvent sentir un corps à plusieurs kilomètres de distance. La dernière escouade se contente, deux ou trois ans plus tard, parvenant à survivre avec une nourriture très pauvre en eau et en énergie, que d’un squelette où ne subsistent que des os et fragments de peau.
Charabidzé, illustration à l’appui, nous identifie les membres de ces escouades et leurs zones de prédilection. Un cadavre est un plat très recherché et les insectes nécrophages doivent soustraire ce délicieux mets (en couvrant, entre autres, le plus tôt possible sa surface d’asticots) à l’envie des vautours, chiens, chats, et autres charognards, tout en rivalisant avec les premières occupantes des lieux, les bactéries, qui vont tenter, par la technique du «spoiling » (le « gachâge »), de faire sienne cette nourriture en la rendant impropre aux autres par le largage de composés toxiques. Nos insectes, toutefois, savent riposter en secrétant des composés antimicrobiens.
C’est lorsque les méthodes thanatologiques devenant inefficaces, au stade de la rigidité cadavériques (rigor mortis) que l’étude des insectes, avec les mœurs de ces huit escouades, s’avère pertinente pour dater le décès.
Damien Charabidzé ne se gène toutefois pas de souligner les contraintes techniques et les sources d’erreurs qui peuvent affecter son analyse d’expert (« le bon expert doute quand le charlatan affirme ») et rendre incertaine la datation : le calcul de l’âge des larves, le rôle des conditions environnementales, la température à reconstituer a posteriori »,…
De plus, depuis quelques années, une simple question rend plus aisée cette datation du décès : à quand remonte le dernier usage, par son propriétaire, de son téléphone portable ?
Pour assaisonner ses propos, Charabidzé nous gratifie de quelques «cas réels », riches en singularités et humour morbide, où sa connaissance de cette faune nécrophage spécialise lui a permis d’élucider certaines morts nébuleuses : un inventaire inattendu d’insectes sur un cadavre retrouvé au fond d’un puits à sec ;
la colonisation de dermestes sur le squelette d’un fonctionnaire, au décès passé inaperçu, permettant de calculer le droit à un pension pour son entourage ; des bactéries prolongeant bien involontairement la survie d’une personne tentant de se suicider,…
Loin de nous dégoûter, les trouvailles scientifiques de Damien Charabidzé nous incitent, plutôt, à l’humilité. Il y a de quoi s’extasier de cette «vie en société » des asticots qui partagent entre eux leur chaleur pour grandir plus vite ou du travail méritoire de parents attentionnés des insectes nécrophores, des adultes infatigables et tenaces quand il s’agit d’assurer la survie de l’espèce. Lors d’une expérience en laboratoire, des mouches pionnières sont parvenues, en moins de trois jours, à pénétrer à l’intérieur d’une valise, totalement hermétique, contenant une carcasse de porcs.
Un exemple de plus de cette vie triomphant de la mort.
Ils peuplent les morts. Approche entomologique médico-légale.
Spécialiste des insectes nécrophages, l'auteur montre que le défunt constitue un véritable écosystème où se développent de nombreuses espèces. Mites, coléoptères, mouches, vers, bactéries et larves en tous genres peuvent ainsi permettre de dater le moment de la mort et interviennent pour nettoyer la nature.
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