Digne cri de révolte des Iraniennes

Christian Vachon - 2 juin 2025

« Femme, vie, liberté » : il ne mérite pas d’être étouffé, ce cri d’insoumission des Iraniennes surgi à l’automne 2022. Comme des millions d’entre nous, Mortaza Behboudi se sent solidaire d’elles.  Possédant la double nationalité française et afghane (en 1996, ses parents ont dû fuir la première arrivée au pouvoir des talibans), caché sous le vernis d’un jeune homme traditionaliste, il est le seul journaliste européen à pouvoir témoigner sur place des événements suivant la mort de Mahsa Amini. Il effectue quatre voyages en Iran en quatre mois, se liant d’amitié avec cinq personnes sans jamais les compromettre : un couple, deux femmes et un homme. Ce sont des gens qui ne se connaissent pas, des étudiants et des artistes aux parcours variés, représentant différentes facettes de la société iranienne; des gens qui, malgré les menaces et la répression, proclament leur soif de liberté.

Il nous les présente, enfin, ce printemps 2025, dans ce Femme, vie, liberté, publié aux éditions du Rocher. L’œuvre, rédigée avec l’aide de Marine Courtade, nous offre l’occasion d’appréhender ce « mille-feuille sociétal » persan « à la fois si complexe et joyeux ».

Il y a d’abord Sogand, l’étudiante révoltée de Téhéran, au regard rieur, qui défie les enseignants en s’asseyant côte à côte avec les garçons dans les salles de cours, recouvrant les murs (aussitôt repeints) de ce graffiti : « Jin, jîyan, azadî ». « Tu peux effacer 1000 fois, 1000 fois je recommencerai à écrire ‘femme, vie, liberté’. »

Il y a, à Ispahan, Ehsan, le tatoueur et graphiste radical, artiste clandestin, fils unique d’un mollah conservateur. Au mois d’octobre 2022, il est nouveau visage de la contestation (« pas besoin d’armes, les encres suffisent »), marquant les peaux du slogan du mouvement. Se faire tatouer peut même permettre d’éviter le service militaire obligatoire.

Une peinture murale par Btoy à Vienne montre une femme kurde et le slogan « Femmes, Vie, Liberté » en kurde. Crédits photo : Herzi Pinki.

Il y a, au moins de novembre 2022, en banlieue de Téhéran, alors que la répression se fait plus brutale, Somayeh et Mehdi (qui veut devenir dermatologue), qui ont fait connaissance lors d’un rassemblement, cachant leur relation à leur famille. Ils accueillent et soignent dans leur clinique improvisée et clandestine des manifestants blessés. Ils en veulent « à ce connard qui nous dirige et nous fait souffrir », cet Ali Khameni qui encourage les viols « pour empêcher les femmes anti-islam d’entrer au paradis ».  « Notre génération mérite mieux. »

Il y a, enfin, Khatereh, la discrète dessinatrice dont les images saisissantes de « cheveux anonymes tombant, sur un fond rouge, sur le pays », deviennent virales sur Internet. La prudence pour elle et ses amies graphistes, en ce mois de décembre 2022, est une constante compagne. Un brouillard noir s’étend sur le pays, mais, la nuit tombée, des slogans criés des fenêtres s’entendent.

Mortaza Behboudi, dénoncé, évite de peu l’arrestation lors de ce quatrième voyage. Il quitte définitivement l’Iran après cet épisode. Il est emprisonné quelques mois plus tard, accusé d’espionnage lors d’un reportage en Afghanistan, passant dix mois en geôle. C’est à son retour, rencontrant Sogand exilée, qu’il se décide à faire retentir, lui aussi, ce cri de « Femme, vie, liberté ». 

L’écrivain François-Henri Désérable, dans son très beau L’usure d’un monde : une traversée de l’Iran, édité chez Gallimard en 2023, nous donnait un avant-goût de cette impitoyable campagne du pouvoir iranien contre le bonheur de son peuple. Behboudi nous la détaille davantage, offrant l’exemple, entre autres, de ces Gardiens de la Révolution vérifiant si des chants d’opposition sont enregistrés dans les playlists musicales des portables, nous faisant mesurer ce sentiment de claustrophobie d’une population étouffée par ces restrictions, ces interdictions absurdes et incessantes, l’abandon du voile étant comparé à un virus, une maladie sociale.

Non, n’en doutons pas, dans cet Iran à l’inflation dantesque, aux multiples magouilles mafieuses des Gardiens de la Révolution, État dans l’État, le volcan de la contestation est seulement endormi.

– Christian Vachon (Pantoute), 1er juin 2025

Essais étrangers

Femme, vie, liberté

Mortaza Behboudi - Du Rocher

Une immersion au sein de la société iranienne en pleine révolution depuis la mort de la jeune Masha Amini en septembre 2022. L'auteur donne la parole aux acteurs de la lutte, des jeunes de divers milieux sociaux qui se regroupent afin de protester contre le conservatisme de l'Iran. Ils mettent en lumière la dualité et les multiples identités d'une société tiraillée entre tradition et liberté.

Acheter

Commentaires

Retrouvez toutes nos références

Notre catalogue complet