Elles peuplèrent la seigneurie de Demaure

Christian Vachon - 3 mars 2025

Franchement précieuse pour les passionné·es de notre passé, cette série de volumes (plus d’une demi-douzaine publiés aux éditions Septentrion depuis 2017) réalisée par la Société d’histoire des Filles du Roy qui, non seulement nous conte la vie de quelques-unes des 764 pupilles du Roy, mais nous permet aussi d’explorer, par la même occasion, l’histoire des villes, des villages et des régions anciennes du Québec. Car c’est entre 1663 et 1673 que les Filles du Roy ont bravé la mer pour contribuer au peuplement de la Nouvelle-France : nous retournons donc assez loin dans notre passé de jeune nation.

Après des détours par Montréal, La Prairie, Repentigny, Varennes et Verchères et la Côte-du-Sud, nous nous rapprochons de la grande capitale avec ce Les Filles du Roy pionnières de la seigneurie de Saint-Augustin-de-Desmaures. Le domaine à l’ouest de Québec, sur le bord du fleuve (André Thibault nous en narre l’évolution dans le chapitre « Seigneurie de Demaure sous le régime français »), concédé à Jean Juchereau de Maur en 1647, puis cédé aux Augustines après 1730, est constitué de terres riches et est favorisé par la proximité de la ville fortifiée. Il connaît donc un développement rapide après 1665. Déjà, en 1681, plus de trente familles habitent la future localité de Saint-Augustin-de-Desmaures.

Le chapitre « Une Seigneurie de Demaure et ses environs au fil des édits » éclaire quelques facettes singulières du mode de vie des habitants. Une ordonnance du 25 mars 1708 menace d’une peine de cinquante livres d’amende quiconque diffusera une singulière « chanson qui est un vrai libelle diffamatoire contre des personnes de Québec », mettant des bâtons dans les roues des bons vivants aimant chanter. Un édit du 4 août 1707 défend d’aller cueillir des fruits sur les terres d’autrui, tandis qu’un autre du 9 août 1710 permet de tuer des cochons trouvés sans carcan, risquant alors de causer de grands dommages chez un voisin. Une ordonnance du 8 février 1734 oblige tous les officiers de milice de donner toute protection et assistance au sieur Joanne, capitaine de navire, et de lui prêter main-forte pour recouvrer et conduire en lieu de sûreté l’esclave des Caraïbes amené en ce pays en 1732, celui-là même qui a déserté de son bord pour se réfugier à Saint-Augustin. La répétition des directives ordonnant aux habitants d’entretenir leurs chemins laisse présager qu’elles ne sont guère respectées.   

« Ruines de l’église de Saint-Augustin de Québec», aquarelle et crayon sur papier

Et qui sont, enfin, ces filles du Roy pionnières de Demaure ? Dix-neuf participent à l’aventure, formant 35% des familles souches de la seigneurie. Elles sont majoritairement orphelines et originaires à 84% de la grande région de Paris.

Les courtes biographies de Madeleine Baillargeon, de Gabrielle Dussault, de Michèle Desfonds et de quelques autres autrices et auteurs nous révèlent que ces filles du Roy se distinguent de bien d’autres façons. Élisabeth Lequin et Marie Michel, entre autres, font partie de cette « protestation de 1667 » dénonçant leur mauvais traitement (le manque de nourriture, en particulier) sur le navire parti de Dieppe qui les a menées à Québec.

La vie est dure pour Isabelle Aupé, mariée à un Pierre de Lavoie, et Bonne Guerrier, épouse de Charles Marchand, qui, tous deux, peinent à nourrir leur famille et font très tôt engager leurs enfants comme domestiques dans d’autres maisons. Elisabeth Aubert et son mari Aubin Lambert partent s’installer à la seigneurie de Lauzon à la suite d’une querelle de voisinage. Il y aurait même eu des « voies de fait ».

On ignore tout du destin de Marie Halay, venue en 1671 et étonnement disparue des registres l’année suivante, constate Yves Chevrier, après le décès rapide de son mari Antoine Augeron. Est-elle retournée dans sa terre natale, cas rarissime, sachant qu’on ne demeure veuve guère longtemps en Nouvelle-France ?

Tout un parcours, finalement, que celui de Marie-Reine Charpentier, arrivée à Québec, à 13 ans, mariée à 14 ans et veuve avec trois enfants à 22 ans. Cette jeune femme, détenant un statut social plus élevé que les autres filles à marier (elle sait signer et possède 400 livres de biens, contrairement aux 200 à 300 livres habituels, à son arrivée), se remarie dès l’année suivante,  œuvre comme marchande et termine ses jours, presque octogénaire, à Montréal.

Le chemin est rapide et accidenté, en ces temps-là, de l’enfance à la vie adulte.

– Christian Vachon (Pantoute), 2 mars 2025

Histoire

Les Filles du Roy pionnières de la seigneurie de Saint-Augustin-de-Desmaures

Société d'histoire des Filles du Roy - Septentrion

Qui sont ces jeunes femmes majoritairement pauvres et orphelines qui, entre 1663 et 1673, ont quitté la France et bravé la mer sur de frêles navires à voiles pour venir se faire une vie dans cette lointaine Nouvelle-France?

Parmi elles, dix-neuf Filles du Roy se sont établies dans la seigneurie de Demaure et ont vu leurs familles s’agrandir en même temps que le village. Leurs enfants ont été baptisés à la paroisse Notre-Dame-de-Québec, à Neuville, dans la seigneurie, chez monsieur Amyot dit Villeneuve, un des premiers habitants du lieu, et finalement dans l’église de Saint-Augustin.

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