Guerre aux idées reçues

Christian Vachon - 14 septembre 2022

Une France pas vraiment antisémite,  une ère préhistorique pas si pacifique, un canon médiéval pas si révolutionnaire… On fait la chasse aux idées reçues dans le second numéro (en librairie depuis l’été 2022) de De la guerre, un superbe livre-magazine, dirigé par l’historien Jean Lopez, nous offrant le meilleur des deux :  entrevues, photos, infographies, récits enlevants.

En page couverture, d’ailleurs, un dossier litigieux :  « Les femmes au combat :  mythe ou réalité ? ».  Deux camps s’opposent à ce sujet ayant chacun « force arguments et exemples ».  La réponse archéologique demeure floue, mais il faut du moins reconnaitre que la violence des femmes a dû être « systématiquement sous-enregistrée, requalifiée, ou carrément oblitérée » au cours des siècles.

Réalité ou propagande, les unités combattantes féminines de l’Armée Rouge lors de la Grande Guerre patriotique ? Une réalité amplifiée, à tout le moins, nous conte l’historienne russe Liouba Vinogradova. Certes, des femmes (une dizaine) s’illustrent dans les unités blindées ou dans la chasse aérienne (une centaine, tout au plus), mais la très grande majorité d’entre elles sont confinées à des rôles traditionnels : infirmières, secrétaires, chauffeuses, servantes de DCA.  Trompe-l’œil, aussi, nous enseigne Pierre Grumberg, cet appui massif au combat des femmes dans Tsahal (l’armée israélienne).

L’exception, elle se retrouve, actuellement, chez les Kurdes, nous explique Emmanuel Deslouis (« Pourquoi y-a-t-il tant de femmes kurdes au combat ? »), où les femmes constituent 40% des combattants.

Toutefois, on assiste bel et bien, nous avertit Benoist Bihan, à une « féminisation des armées », mais l’idéologie prend une part mineure à cette transformation, « c’est la technique le grand égalisateur ».

La guerre est-elle consubstantielle à la nature humaine ? Un sujet périlleux dont ose débattre Maxime Petitjean dans « Préhistoire : aux origines de la guerre ». Des découvertes archéologiques spectaculaires récentes contredisent le tableau idyllique de temps primitifs « harmonieux ».  « La violence est une composante de la vie quotidienne » argumente Christophe Darmangeat, auteur d’un Justice et guerre en Australie aborigène.

Un canon médiéval qui bouleverse, du jour au lendemain, l’art de faire la guerre ? « Une histoire qui sent la poudre, un beau récit né au XIXe siècle » divulgue Emmanuel de Crouy-Chanel dans son texte démystificateur.  Il faut attendre plus d’un siècle et demi, au XVIe siècle, avant de voir apparaitre la pièce de type moderne, celle qui va mener à une révolution dans la façon de construire les forteresses.

Robert E. Lee contre Ulysse S. Grant :  un escrimeur contre un cogneur ? « Le jugement est à revoir » atteste Vincent Bernard dans son « portrait croisé » des deux champions de l’affrontement Nord-Sud, de 1861 à 1865, aux États-Unis.  Cela se résume, en fait, à un duel « boucher contre boucher » :  « ni l’un, ni l’autre n’hésite à risquer la vie de leurs hommes dès lors qu’un résultat décisif semble à porter de main, quitte à le regretter si les choses tournent mal ».  Le pragmatisme et « le réalisme sans faille » de Grant vont « finalement l’emporter ».

Un massacre inutile la prise de la Crète, en mai 1941, par les parachutistes allemands ? Un mythe créé par Winston Churchill, plutôt, tentant de maquiller « la défaite en victoire stratégique » affirme Nicolas Aubin dans « Opération Merkur : une victoire pas si désastreuse ». Ce texte met en valeur l’aspect « modèle et inédit » d’une campagne où les troupes aéroportées allemandes vont parvenir à vaincre un adversaire deux fois plus nombreux.

Une population française largement antisémite lors de la Seconde Guerre mondiale ? Une idée hautement questionnable rétorque Jacques Semelin dans une « grande interview » avec Jean Lopez.  « Comment peut-on comprendre, alors, que 75% des Juifs, en France, ont échappé à la mort ? ».  Cette vision du « tous antisémites », souligne-t-il, est née d’un « miroir déformant », celui de l’ouvrage de Robert X. Paston, publié en 1977, La France de Vichy. C’est un fait incontestable, « l’existence d’une zone administrée par un gouvernement français a pesé (positivement) sur la survie des Juifs ».

Comment faire de soi-même un guerrier modèle, un héros populaire ?  « L’album-photo » «La légende Bigeard à la loupe », rassemblé par Hervé Borg, nous permet d’apprécier comment ce militaire, le « seul soldat français sorti du rang à être devenu général au XXe siècle », construit, avec la complicité de journalistes et de photographes, son mythe de son vivant.

Une dizaine d’autres textes sont tout aussi savoureux dans ce second cru de De la guerre, entre autres « L’odyssée du San Pedro » – le récit fictif, imaginé par Alexandre Jubelin, d’un combat naval au début du XVIIe siècle ;  « La Trébie, le lac Trasimène et Cannes : Rome par trois fois mise à genoux » –  une « radiographie » éloquente des trois grandes victoires d’Hannibal où, à son grand dam, il omet de tenir compte de l’adage « le vainqueur n’est pas victorieux si le vaincu ne se tient pour tel » ;  « Léon Cuffaut : le chasseur chanceux » –  un prodigieux témoignage, tiré d’archives, d’un pilote français qui « a tout vu, tout vécu » (des années trente à soixante :  la Guerre d’Espagne, la défaite de 40, les combats fratricides de Syrie, le Normandie-Niemen en Russie, une opération conjointe, trop méconnue, en 1956, avec l’Espagne franquiste, pour repousser les Marocains, dans le Sahara) ;   « Deviez-vous vraiment entrer en guerre ? », – un interview « posthume », par Antoine Reverchon, avec Napoléon III (« Mon épouse Eugénie m’y a poussé » se défend-t-il, «nous étions trop pressés, trop sûrs de nous, trop arrogants ») ;  « Corse, la guerre oubliée » –  des photos perturbantes (commentées par Jean Lopez) de David Douglas Duncan, du magazine Life, d’un conflit « aussi meurtrier que mal connu », une guerre civile « plutôt qu’une guerre de libération » ;  « Dans les pas de l’armée d’Orient » –  un voyage, dans les méandres du Danube, au cœur des Balkans, en compagnie d’Emmanuel Hecht, sur les traces de cette « armée des confins », « injustement oubliée », qui mène l’offensive, en 1918, jusqu’aux portes de Vienne, et, enfin, « L’embuscade de la vallée d’Uzban » –  un « décryptage, par Michel Goya, du premier engagement majeur, le 18 août 2008, en Afghanistan, des talibans contre les troupes de marine françaises, une « défaite tactique », pour eux,  mais un « succès stratégique incontestable », «tant le retentissement de cette embuscade » (dix soldats français y perdent la vie) transforme profondément l’armée de terre française pour en faire « un instrument tactique redoutable ».

Une vingtaine de contributions, donc, au total, qui nous font apprécier, sans douleur, et sans risque, le fait guerrier.

 

Histoire

De la guerre numéro 2

Jean Lopez (dir.) - Perrin

Un numéro consacré à la féminisation des armées et aux mythes associés aux unités féminines de combat.

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