« Faites disparaître ces images indécentes ! » En 1924, à Montréal et à Québec, des paroissiens et (surtout) des paroissiennes – dont une épouse de premier ministre – se mobilisent pour bannir ces réclames racoleuses qui en montrent un peu trop à l’entrée des salles de cinéma (et qui, la plupart du temps, en promettent beaucoup plus que ce le film offre). Un censeur d’affiches est finalement embauché dans la métropole québécoise, ce qui n’empêche pas le clergé de poursuivre sa lutte énergique contre la popularité croissante de ces salles de « vues animées » qui, oh sacrilège !, osent ouvrir le dimanche. Une tragédie, quelques années plus tard, en janvier 1927, va mener à l’interdiction aux moins de dix-huit ans d’assister à ces spectacles impies. Pour en savoir plus, lisez Les salles de cinéma au Québec, 1896-2008, de Pierre Pageau, publié chez GID en 2009.
Cinquante ans plus tard, en 1974, un film de Michel Brault (Les ordres) émeut des milliers de Québécois et de Québécoises. Ce film suit l’histoire de cinq personnages, dont parmi eux : une mère au foyer, un chauffeur de taxi et une travailleuses sociale victime de l’arbitraire de l’État lors de la Crise d’octobre 1970. Par son approche semi-documentaire – du cinéma direct à son meilleur – inspirée d’entrevues, le réalisateur propose un regard humain (un peu trop au goût de Pierre Vallières qui aurait souhaité quelque chose de plus politisé) et accusateur sur cette période. En 2016, dans Conversations sur le visible, une série d’entretiens avec Gilles Noël publiée aux éditions de l’Hexagone, le cinéaste dévoile quelques secrets sur le tournage de ce film marquant de la cinématographie québécoise.
Au cours de cette même année 1974, le monde de la Francophonie se donne rendez-vous à Québec, en pleine saison estivale (du 13 au 24 août), pour une SuperFrancoFête : douze jours d’activités en tous genres ! Musique, poésie, compétitions d’athlétisme, charmeurs de serpents, tout y est. Des festivaliers venant de vingt-cinq pays créent des moments ineffaçables de notre mémoire, comme nous le rappelle le film de l’ONF : Le le monde s’en vient à Québec. Comment ne pas oublier ces huées à Bourassa et à Trudeau lors de la cérémonie inaugurale ou ce spectacle d’ouverture, le soir du 13 août, avec ces trois géants de la chanson québécoise (« J’ai vu le Loup, le Renard, le Lion ») : Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois réunis sur une grande scène extérieure installée sur les plaines d’Abraham. Plus de 100 000 spectateurs hurlèrent leur joie, leur fierté. Cette première lancera la mode des spectacles de la Saint-Jean, tant à Québec qu’à Montréal (sur la Montagne).
Des géants, ils ne le sont pas encore, en cette année 1974, les groupes Harmonium et Beau Dommage. Mais ils ne tarderont pas à le devenir ! Ils lancent, l’un et l’autre, leur premier album au titre éponyme. Le succès est immédiat et le souvenir durable (« On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter » ne cesse d’être chanté dans les karaokés, même à ce jour). Serge Fiori narre à Louise Thériault, dans S’enlever du chemin, un bouquin publié aux éditions du Cram en 2014, les péripéties entourant ce premier microsillon d’Harmonium, enregistré avec Michel Normandeau et Louis Valois de « façon expéditive » au mois de janvier 1974. Stéphane Labbé et Johanne Mercier nous content, eux, dans un bel ouvrage intitulé Beau Dommage : album éponyme qui fut publié aux éditions de l’Homme en 2020, la naissance du groupe (une troupe de théâtre expérimental, au départ) et la création de ce premier disque, un « véritable raz-de-marée » dès son lancement. Il a déjà tout d’un « best of » : Tous les palmiers, La complainte d’un phoque en Alaska, Ginette, Le géant Beaupré, 23 décembre, Harmonie d’un soir à Châteauguay…
– Christian Vachon (Pantoute), 4 février 2024
Retrouvez toutes nos références
Notre catalogue complet
Commentaires