Ils ont botté le derrière du cinéma américain

Christian Vachon - 1 novembre 2024

« C’est à l’université vraiment que j’ai découvert le cinéma, des oeuvres qui nous provoquaient, en particulier des films canadiens du National Film Board, depuis Claude Jutra jusqu’aux oeuvres abstraites de Norman McLaren » – George Lucas

Francis Ford Coppola, Todd Haynes, Spike Lee, David Lynch : ils sont quelques-uns des fers de lance de ce renouveau du cinéma américain. Pendant quatre décennies (des années 70 jusqu’au début du XXIe siècle), ils bousculent le classicisme hollywoodien par leurs films, allant jusqu’à la prise de contrôle des studios avec l’aide de comptables. Michel Ciment, directeur de la revue Positif, les a rencontrés, ainsi qu’une vingtaine d’autres artisans de ce « Nouvel Hollywood » (Clint Eastwood, James Toback, Bob Rafelson, Stanley Kubrick, Alan J. Pakula, …), recevant leurs confidences sur leur méthode de travail, les thèmes qui les inspirent et les défis qu’ils rencontrent. À l’aide de ces entrevues réalisées entre 1970 et 2007 et regroupées dans ce recueil publié chez Nouveau Monde éditeur, Ciment nous offre un tableau exhaustif de ce temps où des artistes imaginatifs et provocateurs bottaient le derrière du cinéma américain. L’ouvrage en question a comme titre bien évocateur Une renaissance américaine : Entretiens avec 30 cinéastes.

On y retrouve, entre autres, Robert Altman, ce défricheur de la fin des années soixante du Nouvel Hollywood avec ses récits polyphoniques. Altman émet déjà, en 1979, ce constat amer : « Ce sont les banquiers qui dirigent l’industrie. Ils ne vous aiment pas, même si vous leur offrez un succès. »

On croise aussi, bien sûr, ces têtes d’affiche de la première vague du Nouvel Hollywood : Martin Scorsese « à la personnalité torturée », qui ne fait pas de différence entre ses films documentaires et ses films dramatiques, révélant que « la musique c’est sa vie »; le scénariste de son Taxi Driver Paul Schrader qui nous entretient, en 1978, d’un de ses nouveaux scénarios ayant pour titre Québécois et qui présente l’histoire d’une guerre de gangs raciste à Montréal, entre des Italo-Américains et des Canadiens français; Philip Kaufman, tentant par ses films de trouver « une forme nouvelle à partir de formes anciennes »; et le très peu conventionnel Michael Cimino, souhaitant aborder par son œuvre le « grand thème de l’Amérique qui est la solitude ».

Nous sommes confronté, aussi, à cette seconde vague nouvelle hollywoodienne des années 90. Propulsée par Steven Soderbergh, « explorateur avide de projets originaux », cette vague est enrichie d’un Tim Burton souhaitant aller toujours « plus loin dans le bizarre », des frères Ethan et Joel Coen incapables « d’écrire un film qui, d’une façon ou d’une autre ne soit pas contaminé par des éléments comiques » et d’un Quentin Tarantino toujours prêt à faire les éloges de Brian De Palma et de Sergio Leone, puis qui a énormément de facilité à écrire des dialogues en autant « que les personnages l’intéressent ». Car il ne faut pas oublier que « [c]’est leur personnalité qui parle ».

La photo présente une pellicule de film disposée à la verticale devant des bobines. Six cases sont présentées, montrant toutes le chiffre 8 dans un rond. Les trois du haut sont bien éclairées, ce qui laisse paraître le chiffre sur un fond brun sépia. Les trois du bas sont devant les bobines noires, donc l'inscription du chiffre sur la pellicule est plus difficile à deviner.
Amorce de pellicule 35 mm. Crédits photo : Ryan Baxter

Michel Ciment souhaite également nous faire découvrir ces cinéastes méconnus et pourtant talentueux : les contemplatifs Jeff Nicholls (Take Shelter) et Monte Hellman (Two-Lane Backtop), Larry Clark (Kids), chroniqueur de la contre-culture transgressant les limites du voyeurisme, Lodge Kerrigan (Clean, Shaven) pour qui « tout film est politique », James Gray (Little Odessa) chagrinant commercialement l’industrie par ses projets et ses drames sociaux de gauche.

Et surtout, surtout, le critique Ciment nous fait apprécier « le plus indépendant des cinéastes indépendants » Todd Solondz, sublime réalisateur de Happiness (1999), film frondeur, mélange d’humour et de souffrance. « Je veux donner au spectateur un sentiment de vertige et d’allégresse. »

Il n’y a pas beaucoup de femmes, malheureusement, dans cette anthologie. En fait, il n’y en a qu’une seule, Barbara Loden, réalisatrice d’un seul film (elle est morte d’un cancer en 1980), Wanda (1970), un anti Bonnie and Clyde refusant tout glamour. On aurait apprécié y voir apparaître, en plus, Kathryn Bigelow, par exemple. 

Michel Ciment introduit également parmi ces artisans de la renaissance américaine les inattendus Sydney Pollack (The Way We Were aurait été « bien meilleur si nous avions su intéger le politique à la romance ») et Robert Zemeckis (on ne retrouve pas, dans Forrest Gump, les conventions du récit cinématographique : pas de méchant, pas de poursuite. En fait, « l’élément de suspense, c’est l’histoire d’amour »).

Encore plus imprévu, parmi ce répertoire, est le trop mésestimé George Lucas. Ciment s’entretient avec lui à Londres en 1977, alors qu’il s’active à son Star Wars. Le jeune réalisateur lui révèle que son Wookie est inspiré de son chien malamute, mais aussi qu’il s’intéresse énormément à l’étude des cultures (un aspect fort palpable des scénarios de ses Star Wars), qu’il se concentre « sur le réalisme de ses galaxies lointaines plutôt que sur l’aspect fantastique », qu’il s’est bien amusé « avec les trains électriques », mais désire maintenant revenir « aux puzzles avec lesquels j’ai commencé », soit tourner des films expérimentaux et non commerciaux comme son dérangeant THX 1138.

Le gigantesque succès de sa trilogie Star Wars, créant une mythologie moderne, va l’en empêcher. En fait, de tous les créateurs de cette Renaissance américaine, il est le seul dont son œuvre a un impact durable sur notre culture. Et sans Jutra ni McLaren, comme il en témoigne, il n’aurait jamais été atteint par cette piqûre du cinéma.

 – Christian Vachon (Pantoute), 31 octobre 2024

Arts

Une renaissance américaine

Michel Ciment - Nouveau Monde

Recueil d'entretiens avec des réalisateurs américains, réalisés pour le magazine Positif le plus souvent à l'occasion de la sortie de leur premier film, illustrant le renouveau du cinéma aux Etats-Unis depuis les années 1970.

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