Inestimable document pour les amateurs d’histoire que ce Un reporter au cœur de la Libération : Des plages du débarquement au bureau d’Hitler de Jean-Baptiste Pattier, chez Dunod poche. Pattier nous fait revivre le parcours des derniers mois de la guerre du correspondant et aventurier des ondes francophones de Radio-Canada, Marcel Ouimet, tout en nous faisant apprécier sa personnalité attachante et ses remarquables talents d’écritures, à l’aide de sa correspondance et de quelques photos inédites.
C’est lors du tournage d’un documentaire, en 2014, que Jean-Baptiste Pattier, historien français spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, a pu mettre la main sur ce trésor enfoui depuis près de soixante-dix ans en rencontrant l’une des filles du reporter québécois : les 250 lettres que Marcel a envoyées à son épouse Jacqueline de l’hiver 1944 à l’été 1945. En les parcourant, le chercheur français a su qu’il avait entre les mains quelque chose d’exceptionnel, de particulièrement émouvant, méritant d’être révélé au grand public.
Marcel Ouimet nous emballe par sa franchise, par la pertinence de ses observations, par la vigueur de ses émotions, par ses multiples petits tracas quotidiens qu’il nous fait partager, nous offrant le portrait instantané d’une guerre comme si on y était.
Il s’attriste du rôle de second plan attribué à l’armée canadienne, condamnée à un dur boulot en France, en Belgique et aux Pays-Bas « pour permettre aux autres de poursuivre plus facilement » (lettre du 31 août 1944).
Il déteste les Allemands, les « Boches » qui « luttent avec un acharnement incompréhensible » (lettre du 29 août 1944), des «monstres », des « brutes qu’il faut exterminer » (11 juin 1944). « Je désespère de plus en plus de ce qu’on va faire avec les Boches. Ils sont d’une cruauté et d’un sadisme tels que je me demande si on devraient leur permettre de vivre » (8 septembre 1944). Découvrant les « belles atrocités » de Buchenwald, il écrit, le 24 avril 1945 : « (il) va encore s’en trouver pour dire que nous avons trop d’imagination et que nous exagérons ».
Mais, à la fin de l’été 1944, le rude adversaire semble craquer et il ose, le 20 juillet 1944, exprimer son optimisme à sa femme : « à moins d’un miracle, les Allemands seront foutus avant trop longtemps. Je devrais rentrer sans difficulté avant Noël. » Il sera rudement désappointé : les Allemands avaient « encore quelque chose dans le corps ». Ouimet se résigne à l’admettre, le 30 septembre 1944 : « nous étions tous tellement convaincus que nous avions vu nos derniers combats ».
La guerre se poursuit au cœur de l’Allemagne à la fin de l’hiver 1945, une consolation pour Marcel Ouimet, satisfait « malgré sa charité chrétienne » que les populations allemandes « connaissent e[lles]-aussi des horreurs ». Le reporter voit des « destructions dépassant tous les records passés » (26 mars 1945). « La vue de toutes ces villes détruites, malgré ma haine des nazis, me déprime » (27 mai 1945).
Au mois de juillet 1945, plusieurs semaines après la capitulation allemande, il explore un Berlin ravagé, fouillant les décombres de la chancellerie du Reich. « J’aurais pu rapporté un soulier d’Eva Braun, avec un rouleau de papier de toilette qui servait au Führer » (7 juillet 1945).
Apprenant la destruction d’Hiroshima au mois d’août 1945, il exprime sa satisfaction (« Si ces développements peuvent épargner quelques vies canadiennes, tant mieux ») avant de s’interroger, deux jours plus tard, le 10 août 1945 : « cette bombe atomique, ses effets, ne sont pas sans m’inquiéter ».
Le pressentiment d’un prochain conflit couve en lui : « je suis heureux qu’on se montre ferme à l’endroit de nos amis de l’Est […] J’ai bien peur que le territoire à l’est de l’Elbe ne nous reste fermé pour un bon moment. Le monde est bien malade. » (9 mai 1945)
Dès le mois de septembre 1944, il en avait marre de la guerre et de ses misères, « une guerre de poussière, de convois interminables, sans beaucoup de repos et de sommeil. 87 émissions en 90 jours » (2 septembre 1944). L’alcool lui sert d’échappatoire : « le rhum est une boisson que j’affectionne de plus en plus » (2 août 1944). Il rêve, surtout, à cette longue permission de Noël, à ses brûlantes retrouvailles avec Marguerite.
C’est qu’il est passionnément amoureux de son épouse, cette belle femme qui « aime les choses intellectuelles, la musique ». Chacune de ses lettres est une déclaration d’amour enflammée : « Et que je manque nos moments d’abandon complet » (5 juin 1944); « Excuse-moi de ma franchise, mais je voudrais vivre en toi, soudé pendant des mois » (10 août 1944); « Je voudrais tant te prendre dans mes bras, t’entendre gémir » (29 août 1945).
Sa passion n’est pas unique : il y aussi celle de la France, « le pays qui m’est le plus cher après le mien » (9 juin 1944). Marcel Ouimet est un francophile exalté depuis son séjour d’étudiant à Paris en 1937, à l’École des Hautes Études Sociales. Tout en s’attristant de l’ampleur des décombres en Normandie, des ruines de Caen, il célèbre le « courage des civils », la droiture de ce peuple « admirable dans sa détresse » (23 juin 1944). Les « enfants de France » l’étonnent aussi, « tellement charmants, tellement éveillés » (2 juillet 1944). Il s’inquiète de plus de cette « francophobie » qui se développe chez les Alliés, qui « voi[en]t déjà de Gaulle dictateur » (1er juillet 1945).
Les comportement des Français et des Belges libérés suscitent parfois sa désapprobation. « J’ai vu des femmes se faire tondre les cheveux. [Un] spectacle pas agréable. [Mes] sentiments se révoltent un peu » (2 septembre 1944). Il n’est guère impressionné, non plus, par la justice française lors du procès du maréchal Pétain, à lequel il assiste en tant que reporter à la fin de juillet 1945 .« [Une] affaire à mon avis […] réglée d’avance » (25 juillet 1945). La France est « loin d’en sortir grandie » (8 août 1945). « Il y en a d’autres, bien d’autres plus coupables qu’il ne l’est à mon avis. »
À la fin d’août 1945, le correspondant, lucide et sage, s’offre ce commentaire sur le peuple français : « La France semble toujours avoir à choisir entre l’anarchie et une dictature d’extrême-gauche. Pour ma part, je préférerais encore la première. Ce pauvre pays est bien plus bas que je ne l’aurais cru il y a un an. L’apathie a remplacé l’enthousiasme. [Tous ses habitants] ne songent qu’à vivre aux frais de l’État » (31 août 1945).
Après la guerre, Marcel Ouimet continue à faire rayonner la langue française sur les ondes, puis à la haute-direction de Radio-Canada, mais sans revendiquer « une quelconque identité québécoise ». Il n’a guère d’estime pour ces nationalistes québécois qui, lors de la guerre, « défendirent les embusqués, se préoccupèrent de faire de la petite politique et de salir ceux qui on fait leur devoir. Si jamais je rencontre cette clique, je ne lui mâcherais pas mes mots » (31 juillet 1944).
On se souvient, en Normandie, du seul réalisateur d’un récit radiophonique en langue française, le 6 juin 1944, jour du débarquement à Bernières-sur-Mer; une place Marcel-Ouimet a été inaugurée, là-bas, le 6 juin 2022.
– Christian Vachon (Pantoute), 4 août 2024
Un reporter au cœur de la Libération : Des plages du débarquement au bureau d’Hitler
Seul reporter francophone à avoir couvert le jour J, Marcel Ouimet a relaté les événements liés au Débarquement et à la Libération à ses auditeurs de Radio Canada, dans la presse écrite ainsi qu'au travers de lettres à sa femme, témoignant de ce qu'il a vécu, de la plage de Bernières-sur-Mer le 6 juin 1944 au bureau d'Hitler en mai 1945. L'auteur présente ce matériau, en le contextualisant.
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