La Russie qu’on aime, malgré tout

Christian Vachon - 2 octobre 2023

Oui, aimons la Russie malgré tout, malgré Poutine, ne serait-ce que pour son « fonds culturel inouï », comme le souvenir d’Hitler n’entache pas notre adoration de l’Allemagne et de ses richesses artistiques et intellectuelles. Henri Dorion, le réputé géographe québécois, est un de ces grands amants de la Russie. Il nous le révèle dans son L’autre Russie, publié chez Multimondes, où il nous invite à laisser de côté nos lunettes accusatrices et à poser un regard admiratif sur ce plus vaste pays du monde « pris en otage par un despote ». C’est ce regard qui nous fait voir la Sibérie non comme une « terre de déportation » mais une « terre d’avenir », par exemple.

Henri Dorion, depuis sa toute jeune enfance, entretient des liens affectifs très étroits avec ce coin du monde : sa mère est née à Saint-Pétersbourg, sa grand-mère à Arkhangelsk. Il a séjourné fréquemment là-bas lors de sa fructueuse carrière universitaire, ramenant de copieux bagages de faits et d’anecdotes. Il nous en fait agréablement profiter dans ce fertile essai.

Il nous présente « la clé pour comprendre ce pays » dès le premier chapitre, cet amour des Russes pour la « terre-mère », la « Russia Matouchka », qu’ils chérissent au point de la déifier (avec cette autre « ligne de force » non point négligeable : la « Mère-Volga », la « Matouchka Volga »), avec « tout le contenu géo-historique, économique et culturel que cette expression implique ».

Il s’attarde fréquemment sur les multiples similitudes entre le Québec et la Russie, deux endroits du monde « soumis à un climat dont les contraintes ont généré des solutions, des habitudes et des mouvements de population qui se prêtent à d’intéressantes comparaisons ».

Et il y a cette Saint-Pétersbourg, entre autres, où on assiste à ce magnifique spectacle de la débâcle de la Neva à chaque printemps; Saint-Pétersbourg qui peut revendiquer à la ville de Québec ce titre de « Capitale mondiale de la nordicité ».

Henri Dorion est fou amoureux de cette ville, à la porte de la Baltique, créée de toutes pièces au début du XVIIIe siècle au milieu de marais par un tsar désireux d’avoir une porte sur l’Europe; Saint-Pétersbourg, Amsterdam du nord, avec sa série de canaux circulaires; Saint-Pétersbourg, « capitale culturelle de la Russie »; Saint-Pétersbourg, « capitale mondiale de la mélancolie », ogre dévoreuse de ses poètes Pouchkine, Dostoïevski, Lermontov.

Un pont de métal vert avec quelques colonnes de pierres beiges s'étend au-dessus d'une eau bleu-gris agitée. Un ciel légèrement bleu, mais principalement ennuagé, se profile au-dessus du pont.
Photo du Pont de la Trinité à Saint-Pétersbourg (crédits : Alex ‘Florstein’ Fedorov)

Le toponymiste endiablé nous fait apprécier, au gré des chapitres, une multitude de dictions, de surnoms et d’autres éléments singuliers foisonnant un peu partout en Russie. Pensons aux mois du calendrier ayant chacun leur particularité (janvier : « le mois bleu », août : « le mois des matins clairs », …); aux villes changeant de nom au gré des régimes (une Nijni-Novgorod rebaptisée Gorki à l’ère soviétique, puis redevenant Nijni-Novgorod), ou aux autres centres urbains cherchant à attirer l’attention par leur qualificatif : Vladivostok la « San-Francisco du Nord », Vologda la « Capitale de la dentelle », Elista la « Capitale des échecs », …

Il est également sympathique de constater qu’ils ne sont pas rares, ces mots russes « qui sonnent tout à fait français » :  katastrofkrevetka, … Il y a même cette ville portant le nom d’Avangard.

La Russie, baignée par une mer Blanche au nord et une mer Noire au sud, est un monde franchement coloré, nous convainc le géographe Dorion au chapitre sept. Le rouge, entre autres, est une couleur que les Russes « regardent à travers des lunettes à double foyer ».

Au chapitre cinq, (« Personnages d’ici-bas et de l’au-delà »), l’amoureux de la Russie nous fait apprécier, espiègle, un monde lilliputien de lutins et de gnomes, « parfois joyeux, parfois malicieux, rarement tristes », fréquentant les isbas. Au chapitre huit (« Manger, compter et saluer »), il nous convie à un surprenant festin culinaire de blinis et de coulibiacs : « 1 000 pages ne suffiraient pas à couvrir la pseudo-absence de la gastronomie russe ».

La Russie tourne-t-elle le dos à la société occidentale, s’interroge-t-il au onzième et dernier chapitre (« La Russie entre l’Est et l’Ouest ») ? Depuis quelques mois, malheureusement, les raisons sont nombreuses (économiques, liberté de parole, …) pour quitter définitivement la Russia Matouchka. Le rêve fou d’un dictateur se voulant porteur de cet héritage de la Grande Guerre patriotique « va-t-il mourir avec lui ? »

Bien malheureuse, cette Russie éternelle, aux extraordinaires richesses culturelles et artistiques, grande génitrice de dirigeants maltraitant leur peuple depuis des siècles.

– Christian Vachon (Pantoute), 1er octobre 2023

Essais québécois

L'autre Russie

Henri Dorion - Multimondes

Dans un style qui n’est pas sans rappeler le journal de voyage, Henri Dorion amalgame des anecdotes et des faits à propos de ce pays d’espaces, de culture, de conifères, de ferveurs religieuses, de fleuves et de lacs qui révèlent de multiples liens avec d’autres sociétés nordiques comme le Québec.

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