La vie bien rangée de Carl Bessette

Christian Vachon - 19 mars 2025

Avec entrain et humour, en cent vingt-neuf aphorismes parfois très courts (XXXIX : « Miettes de pain sur la table »), Carl Bessette nous entrouvre délicatement, dans son Tous les détails publié aux éditions de Ta Mère, son quotidien et sa vision de la vie où tout se positionne, se range, se dépose bien, de la brosse à dents aux godets de crème vides au restaurant. « J’ai tant de plaisir dans la vie. Une montagne de petits plaisirs, nombre incalculable d’instants de joie par jour. Où vous voyez un jus dont le contenant se déverse en arrivant parfaitement à ras le bord du verre, je vois une médaille d’or olympique – et faites-moi confiance, les contenants de jus, chez moi se vident chaque fois de leur dernière goutte au moment d’atteindre le ras du bord d’un verre servi.  Je suis maître de cette discipline. »

Nous sommes d’abord charmé·es et amusé·es par ses petites habitudes (« Il y a des choses rassurantes comme multiplier le nombre vingt-cinq »; « Apprêter un poivron; ne laisser aucune de ses graines dans la recette ou sur le comptoir. « Épépiner » est un verbe sérieux. »), puis, peu à peu, ses comportements nous intriguent, nous troublent (« On ne dépose nulle part un verre d’eau, une montre, un objet innocemment. Par-delà le rituel de symétrie, le rituel de beauté. Et par-dessus tout, le rituel. Tout simplement. »), nous apparaissent franchement obsessionnels. Quelques exemples sont frappants : « Il y a deux façons correctes d’ouvrir un sac de chips »;  « Il y a une manière correcte de placer sa paille dans un petit jus en carton »; « S’il faut avoir quitté un lieu, par exemple un terrain de camping, à dix heures, ce n’est pas à dix heures cinq. Ce n’est pas grave, mais oui c’est grave. »

Maladif, Carl Bessette ? Il confesse posséder des traits, pas des troubles, obsessifs-compulsifs. Ses journées « sont découpées au couteau ». Son horaire le rassure. Il est à l’affût de l’impact de chaque geste. Un travail mal fait « [l]e rend dingo ». « Beaucoup de traits obsessifs-compulsifs n’auraient pas lieu d’être si tout le monde faisait son travail convenablement. »

« Les choses sont faites pour une raison, » nous affirme-t-il. « [C]ette raison ? La logique. »  L’esthétique, de plus, « est un maître mot de l’amoureux des détails ». En fait, la vie bien rangée de Carl Bessette se résume en ces trois mots de l’aphorisme LXXV : « logique, efficacité, beauté ».

Il s’estime « comme un poisson dans l’eau » lorsqu’il tâte de la vie militaire (« Combien agréable le son satisfaisant et uniforme d’une section qui marche au pas »; « Il est attendu, dans l’armée, que chacun ait tout ce qu’on lui demande d’avoir, et qu’il sache exactement où se trouve chaque chose »).

Infernale cette vie obsessionnelle de Carl Bessette ? Paradisiaque, plutôt, ose t-il professer. « Il est facile d’aimer les petites choses de la vie lorsqu’on s’en soucie constamment. » « Certaines personnes pourraient croire qu’une personnalité obsessive n’a d’yeux que pour ses répétitions; mais rien n’est plus loin d’être vrai. Ces habitudes automatisent les gestes du quotidien et permettent au cerveau, pendant ceux-ci, de vaquer à d’autres occupations. »

Bien tentant, pourtant, de comparer la vie de Carl Bessette à celle du Sisyphe de la mythologie grecque, roulant sans cesse, platement, son rocher au sommet de la montagne. Détrompez-vous, réplique t-il, « ce qu’on oublie toujours de mentionner à propos de Sisyphe, c’est qu’il s’améliore à chaque remontée. Voilà l’essence de l’obsessif. Sa vie n’est pas absurde ni répétitive. Aucun de ses jours ne se ressemble, car il a un but : être meilleur que la veille, dans chacun de ses gestes. »

Il n’est nullement dément, notre obsédé des petits détails.

Une lecture des plus agréables et des plus profitables !

– Christian Vachon (Pantoute), 16 mars 2025

Essais québécois

Tous les détails

Carl Bessette - Ta Mère

Tous les détails, c'est une ode aux manies, aux rituels et aux microdécisions infinies qui rythment les journées d’un auteur qui les chérit. En racontant avec humour et élégance son quotidien où il souffle, compte, évite, lave, plie, positionne et recommence souvent, Bessette nous ouvre grand la porte sur ses pensées obsessives et offre du même coup une véritable lettre d'amour à la neurodivergence.

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