Mikaël Lalancette, auteur des épatantes biographies sportives Georges Vézina : l’habitant silencieux et 50 jours dans la vie de Mike Bossy, nous gâte de nouveau avec son Jean-Claude Tremblay : le magicien de la ligne bleue, publié aux éditions de l’Homme. Fruit de trois ans de recherche et d’une centaine d’entrevues, cette biographie nous fait apprécier l’un des meilleurs défenseurs offensifs des années soixante et soixante-dix, un athlète endurant et tenace menant son club, les Nordiques de Québec, aux portes de la Ligue nationale de hockey, un homme remarquable qui ose prétendre que « le Canadien, ce n’est pas la fin du monde ».
Tout un numéro ce numéro trois du Tricolore, un type au caractère timide (« tout se passe dans sa tête ») lui donnant cet air bourru. C’est un passionné de lecture et de mots croisés qui fait du hockey, son gagne-pain, un champ d’expérimentation : joueur d’avant performant (« il était scoreur en Jésus ! ») dans sa ligue junior au Saguenay, devenu arrière à son arrivée, au début des années soixante, chez le Bleu-Blanc-Rouge (son coup de patin manque de vigueur), il n’apprécie guère le style défensif de l’équipe : « Occupe-toi de l’homme, » lance-t-il à son coéquipier de la ligne bleue « je m’occupe de la rondelle ». C’est assez pour donner la syncope à son entraîneur Toe Blake « par ses tours de magie devant le filet ».
Il excelle « par son style scientifique » à sa position, voyant « tous les trous » et parvenant à faire sortir la rondelle de la zone défensive. Il est un des principaux artisans des quatre coupes Stanley remportées en cinq ans par le Canadien, entre 1965 et 1969. Il est même nommé, avec Bobby, sur la première équipe d’étoiles de la Ligue nationale à la fin de la saison 1971.
En 1966, il se distingue en devenant l’un des premiers en Amérique du Nord à adopter le casque protecteur à la suite d’un coup de coude à la tête « brutal et traître » de Reggie Fleming.
Il se distingue, « roi du col roulé », par son style vestimentaire raffiné, se laissant pousser les cheveux et les favoris… et une moustache à la Fu-Man-Chu.
Il se distingue, au printemps 1972, suscitant l’admiration de ses futurs ex-coéquipiers, en traitant Sam Pollock et la haute direction du Canadien de « cheaps » lors de la négociation de son nouveau contrat. Il va alors – acte sacrilège ! – déserter le Forum.
Homme soulagé, « ayant l’impression de venir au monde », il participe dès lors, aux sept années tumultueuses, de 1972 à 1979, de l’aventure des Nordiques de Québec (qui lui ont fait signer, à l’été 1972, un contrat garanti de cinq ans, à 140 000 dollars par année, deux fois plus que ce que lui offrait le Canadien) au sein de l’Association mondiale de hockey. Il est le seul, avec Richard Brodeur, à y être de la première à la dernière partie.
Personnage d’impact vendant des billets, surhomme exemplaire, jouant plus de 47 minutes sur 60 lors des matchs (il ne quitte guère la glace que deux fois par période), demeurant, même à l’approche de la quarantaine, le meilleur défenseur des Nordiques, le « bougonneux » considère comme un affront cette diminution salariale qu’on lui propose à l’automne 1978. « C’est ma dernière saison, » annonce-t-il, « je ne dois rien aux Nordiques, et ils ne me doivent rien ». Nous pouvons en douter.
L’homme pense être encore capable de jouer. Il se distingue, une nouvelle fois, en devenant joueur-entraîneur en Suisse. L’expérience tourne à la catastrophe. Il est trop direct et trop impatient avec ses joueurs. Fin de l’aventure helvétique ?
Non, il tombe amoureux de ce pays « où on lui fout la paix ». Il s’installe dans une région viticole, participe aux vendanges et dirige une école internationale de hockey.
Il ne cesse d’étonner. En 1985, il se remarie avec une organisation du Canadien, libérée de Sam Pollock et maintenant patronnée par ses anciens coéquipiers Serge Savard et Jacques Lemaire. Il devient recruteur de ce club en Europe.
Consciencieux, prenant sa tâche à coeur, parcourant les arénas souvent mal chauffées des petites et grandes villes d’Europe de l’Est et de Scandinavie, en traînant avec lui son pot de « beurre de peanuts », cet inspecteur Clouseau du monde sportif, « avec son chapeau et son trench », ne parvient que rarement à vaincre les réticences d’une organisation peu encline à donner une chance à un espoir européen. «Vous me payez à rien faire, » se lamente-t-il.
Il réussit toutefois un coup d’éclat : ce repêchage de Saku Koivu en 1993 (« il n’est pas très costaud, mais il a du chien comme c’est pas possible »), l’une des rares vedettes du club lors des années 1990 et 2000 avec ses 832 points en carrière.
Jean-Claude Tremblay nous cause une dernière et triste surprise le 7 décembre 1994, six mois avant le départ des Nordiques, en décédant d’un cancer du rein à 55 ans.
Plusieurs célébrités du hockey considèrent comme un affront de ne pas retrouver son nom parmi les membres du Temple de la Renommée. Tout aussi injuste m’apparaît l’absence d’une statue l’honorant devant l’amphithéâtre Vidéotron à Québec. Cela n’offusquerait sans doute pas le héros sportif. « La Terre va continuer de tourner, » répétait souvent Jean-Claude Tremblay, toujours humble quant à ses accomplissements, ne souffrant pas d’amertume. « J’ai vécu une vie heureuse. »
– Christian Vachon (Pantoute), 29 décembre 2024
Jean-Claude Tremblay, le magicien de la ligne bleue
La première biographie exhaustive de ce magicien de la rondelle ! Jean-Claude Tremblay serait-il le meilleur joueur de l'histoire, après Guy Lafleur, à avoir porté l'uniforme des deux grands clubs de hockey de la Belle Province, les Canadiens de Montréal et les Nordiques de Québec ?
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