La vie (presque) parfaite de Michel Côté

« Son seul défaut c’est d’avoir été parfait » : ce commentaire d’Adrien Morot, maquilleur sur le plateau de tournage de C.R.A.Z.Y., résume parfaitement bien la cinquantaine de témoignages de proches (membre de la famille ou du milieu culturel, collaborateurs et autres amis) de l’époustouflant artiste, recueillis par Pierre Gince pour ce respectable Michel Côté et nous, 50 regards sur l’homme et son œuvre, publié aux éditions de l’Homme ce printemps 2025. Pensons seulement au commentaire de Danièle Papineau-Couture, son attachée de presse : « Je n’ai jamais entendu de « Michel Côté bashing » ». Dès le succès de la pièce Broue à la fin des années 70, cet acteur à la gigantesque polyvalence, décédé trop tôt, en mai 2023, se fait aimer de tous, tant par sa gentillesse et sa simplicité, que par la qualité de son jeu : il brille comme comédien, il brille comme humain. Il excelle surtout, vous allez le découvrir plus loin, dans le rôle le plus plus important de sa vie.

Certes, il n’était pas parfait, parfait. « Vous auriez dû le voir danser le hip-hop, » confirme, en introduction de l’ouvrage, son plus jeune fils Maxime Le Flaguais. L’actrice Caroline Dhavernas, épouse de Maxime, le décrit comme un anxieux perfectionniste, souvent hanté par la crainte de décevoir. Les scénaristes de Broue, Francine Ruel, Jean-Pierre Plante et Louis Saïa, conservent aussi le souvenir d’un Michel « rigoureux au point d’en devenir tannant. »

Mais dans son texte introductif, son fils souligne que son père, bien que lui étant difficile de se montrer vulnérable, mettait « constamment ses humeurs de côté pour offrir le meilleur de lui-même. » Cet expert en autodérision, de plus, « savait faire exister l’autre. »

Maxime, en fait, retient de lui cette admirable leçon : étant aimé de son père, il incombe à son tour, en guise de remerciement, « d’être un meilleur humain. » « C’est par son art que mon père a changé le monde, une salle de spectacle à la fois, une salle de cinéma à la fois. »

Et dire que Michel Côté aurait pu bouleverser le Québec en d’autres types de salles ou de lieux. Ce natif d’Alma, en juin 1950, « gars de gang » et « incroyable machine à party » (dixit Caroline Dhavernas), se destine à devenir avocat depuis sa jeunesse. C’est Jean-Luc Bastien qui, le dirigeant dans des pièces de théâtre amateur à Alma, détecte chez « le jeune et beau » Michel un indéniable talent d’artiste. Il est trop créatif pour s’enfermer dans le monde rigide du Barreau.

Fonceur, le gars du Lac part à Montréal avec son ami Marcel Gauthier, vivant de pas grand-chose. N’ayant pas le « physique romantique » (sa « voix chaude » parvient tout de même à conquérir Véronique Le Flaguais, le grand amour de sa vie), il est condamné au rôle de composition.

Survient la rencontre, au début des années 70, avec Marc Messier (ils seront « une vis et un boulon », Michel dégageant une « autorité naturelle »), et le début de l’incroyable aventure de Broue : ce sont 3 322 représentations en plus de trente ans ! Louis Saïa et les autres scénaristes disent de Michel qu’il « savait amener de l’émotion dans un texte comique […] il n’a pas joué le personnage [de Pointu], il l’est devenu. » Pourvu d’un petit côté entrepreneur (Sébastien Dhavernas, son ami d’études au théâtre affirme qu’il avait le sens des affaires), le performeur planifie le reste de sa carrière en fonction de cette incroyable mine d’or qu’est Broue.

Remercions-le de ce planning. Il collabore à cette « renaissance de la comédie québécoise » (les aveux du chroniqueur Michel Coulombe) qu’est Cruising Bar au milieu des années quatre-vingt. « L’idée des quatre gars, » souligne le réalisateur Robert Ménard, « vient de Michel. » Il les aimait tous : le taureau, le ver de terre, le paon et le lion. Marc-André Grondin grandit en regardant le film. Antoine Bertrand se permet d’avouer : « Je l’ai vu 30 fois et je m’en tanne pas. »

L’as du comique confirme sa versatilité en jouant, des années plus tard, le rôle retenu de Gervais, le père, dans le C.R.A.Z.Y. du regretté Jean-Marc Vallée. Danielle Proulx, sa partenaire dans le film affirme qu’il « recherche la vérité à l’écran ».

Michel Côté, le « Peter Sellers du Québec », comme le baptise Martin Drainville, parvient toujours à faire oublier complètement l’acteur. Tous adorent son authenticité et sa joie de vivre. « Il tire ses collègues vers le haut, » affirme Marie Tifo. « Il [est] tellement doué que tu [as] juste à le suivre, » ajoute Louis-José Houde. « On veut s’envelopper de son aura, » conclut Karine Vanasse.

C.R.A.Z.Y. n’est toutefois pas son plus grand rôle. Il excelle ailleurs, dans la vie réelle, comme père de famille. C’est un père qui n’est nullement prisonnier de ses valeurs, comme le Gervais. Il est tendre et protecteur. « Sa famille c’était tout pour lui,» confie Véronique Le Flaguais. Le sympathique roi de la basse-cour lui accorde du temps de qualité, une mémorable prise au piège de la série Surprise sur prise, alors que son fils aîné, Charles, performe faussement à un Génies en herbe. Michel Côté, malgré ses blagues (« Ça veux-tu dire que t’es niaiseux ? »), atteste à l’écran que la plus grande réussite de la vie de ce fier père, c’est ses enfants.

Cette histoire orale de Michel Côté, sous forme de questions et de réponses, nous fait entrevoir bien d’autres passions chez le comédien : la chasse, l’histoire (« Celui qui ne sait pas d’où il vient, » répète t-il souvent, « ne peut savoir où il va. ») et son ouverture sur le monde. Michel Côté voyage fréquemment, aimant se mélanger aux autres cultures.

Sa vie « presque parfaite » (il manqua de temps pour accomplir tout ce qu’il voulait accomplir) demeure exemplaire, sans être irritante. Comment en vouloir à quelqu’un qui voulait répandre le bonheur autour de lui ? Comment ne pas souhaiter que ce Michel Côté et nous, où un père enseigne à son fils « la différence entre l’orgueil et la fierté », ne soit pas largement diffusé ?

– Christian Vachon (Pantoute), 11 mai 2025