Le fardeau de Juan Pablo Escobar

Christian Vachon - 30 avril 2021

Drôle de fardeau que celui d’être le fils, survivant, du plus célèbre narcotrafiquant du monde ;  fardeau injuste :  il est interdit de séjour aux États-Unis ;  fardeau inoffensif : il a promis, très jeune, aux ennemis de son père, en échange de la vie sauve, de cesser toute activité criminelle – il est devenu architecte – ;  fardeau rédempteur :  il consacre une bonne partie de son existence, par l’écrit (Pablo Escobar, mon père), par le documentaire (Les péchés de mon père), par des tournées à travers le monde, à dénoncer les agissements criminels de son géniteur, à tout faire pour que son histoire ne se répète pas, à obtenir le pardon de ses méfaits et panser, ainsi, « les profondes blessures qui l’ont poussé à choisir de ne pas devenir comme lui ».

Le message passe.  Il est entendu.  Il reçoit des lettres, des confidences de proches, de poursuivants, de victimes, ou de fils ou filles de celles-ci, de Pablo Escobar.  Il découvre de nouveaux éléments, des pièces manquantes sur la vie de celui-ci, suffisamment pour qu’il puisse se lancer dans la rédaction de Ce que mon père ne m’a jamais dit, traduit et édité, tout récemment, à l’hiver 2021, chez Hugo Doc.

On y retrouve des anecdotes étonnantes, de « nouvelles versions de vieilles histoires » d’assassinats, d’enlèvements, de séquestrations, de trahisons (celle, entre autres, de Barry Seal).  On en sait un peu plus sur les implications, souvent ignorées ou négligées, d’Escobar dans la sphère politique, fort tumultueuse, de la Colombie des années 80.

On y apprend, surtout, comment, grâce à la complicité de fonctionnaires antidrogues touchant commissions («on finit par trafiquer avec ceux qui étaient censés nous en empêcher »), pas moins de 64 tonnes de cocaïne, valant 768 millions de dollars, purent entrer aux États-Unis, entre 1986 et 1989, par l’aéroport de Miami (« la route du trafic de drogues »), à l’aide de « mules », de jolies filles surtout.  Une bonne partie de l’argent de ce « commerce » reprend le chemin inverse dans des caches dissimulées à l’intérieur d’appareils électroménagers.

Invulnérable, flamboyant Escobar? Il ne l’est plus, à partir d’août 1989 ; à partir de ce crime de trop, de l’assassinat du candidat à la présidence colombienne Luis Carlos Galan. C’est la fuite au Panama, le début d’une longue traque de près de quatre ans.

Une cousine de Pablo Escobar,  l’une des dernières personnes à l’avoir vu en vie, raconte finalement à son fils les ultimes heures de son père, le 2 décembre 1993, le récit d’un fugitif débarquant à l’improviste dans le quartier qui l’a vu grandir, sachant ses options épuisées, et choisissant la seule voie qui permettra à sa femme et ses enfants de rester en vie : le suicide.

Faut-il s’étonner, sachant cela, du jugement sévère de Juan Pablo Escobar sur les narco-séries et leurs popularités : « une nouvelle culture dépourvue de valeurs (…) reflétant des expériences contraires à celles que j’ai vécues (…) livrant ce singulier message à la jeunesse : « être narco, c’est très cool » ».

Il dénonce les erreurs grossières, plus d’une vingtaine, du Narcos diffusé par Netflix, soulignant, entre autres, qu’ils n’étaient pas cachés, loin de là, dans de belles maisons ; que son père n’était plus en contact, depuis une décennie, avec Virginia Vallejo, sa supposée amoureuse ; que, de plus, celui-ci n’a jamais maltraité, insulté ou humilié ses parents, et qu’il n’était pas entouré de truands, à la fin de ses jours.   Il était seul, son père, le 2 décembre 1993. Il savait, surtout, « que nous n’aurions aucun avenir à ses côtés ».

Juan Pablo a choisi un destin autre qu’un Michael Corleone. « À quoi bon construire un empire, soumettre un pays à la terreur, si, à la fin, tout est détruit, y compris sa famille ».

À ceux, trop nombreux, qui glorifient ce monde de richesses mal gagnées, il oppose le témoignage de Quijado, le trésorier personnel de son père qui, retournant, après un long exil, vivre en Colombie, pauvre, « a appris à vivre de rien, alors qu’il avait tout eu » :  « Je ne connais aucun narco retraité qui vive en paix, je ne vois que des morts ou des trafiquants en prison. Plus nous avions d’argent, plus nous perdions de liberté ».

Outre sa volonté de réconciliation par le pardon, de discréditer, autant que possible, le sale trafic des narcotiques, Juan Pablo prône un autre combat public.  Lui qui, sur les conseils de son père, a pu échapper à la consommation des stupéfiants, défend ouvertement « la légalisation et la régularisation des drogues », partageant les mêmes convictions que Aaron (profondément antidrogues lui-aussi), fils de l’aviateur Barry Seal, « l’homme qui fit entrer le plus de drogues, clandestinement, aux États-Unis » :  « Au lieu d’une guerre contre la drogue (avec son lot d’horreurs), nous avons besoin de la paix avec les drogues ».

Narcos (season 1) - Wikipedia
Il dénonce les erreurs grossières, plus d’une vingtaine, du Narcos diffusé par Netflix.

« L’éducation », défend Juan Pablo, est « la principale ressource disponible pour faire face au problème de façon efficace, mesurable, durable et économiquement viable ».

Ne commettons pas les mêmes erreurs.  Ne repartons pas en guerre.  Un changement d’attitude des forces de maintien de l’ordre –un général de l’armée de terre lui a même demandé pardon au nom de son institution « pour la façon dont elle avait mené la guerre contre sa famille »- remplit d’optimisme Juan Pablo pour la Colombie du futur.

Il nous convainc de sa sincérité, le fils d’Escobar.  L’adolescent qui, en apprenant la mort de son père, hurlait : « Moi seul, je vais tous les tuer ces fils de p… » est parvenu, ensuite, à se détourner des voies de la rancœur et du sang empruntées par le paternel, se réinsérant dans la société, tout en sachant « dépositaire d’une histoire dont je ne suis pas fier, mais qui revêt un caractère universel ».

Il la diffuse, cette sombre histoire, tout en demandant qu’on respecte son d’aimer son père « comme un fils ».  « J’ai grandi dans un foyer d’amour.  Et si mon père était un voyou dur et insensible, pour nous, il était un père aimant qui chantait pour sa fille et aimait jouer avec moi ».

Pablo Escobar, ne voyant pas grandir ses enfants, a-t-il durement payé ses crimes?

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