Il est généreux et essentiel le Saint-Laurent. Il fait bien manger l’Europe depuis des centaines d’années et l’Asie depuis peu. Mais le Québec tarde à s’inviter à sa table, ignorant la richesse de ce patrimoine. « Nous avons un trésor à notre portée et nous le dédaignons, » soutient Hélène Raymond dans son invitant album richement illustré (un bon succès de vente à notre librairie), publié aux éditions Multimondes, Portraits du Saint-Laurent : Histoire des pêches et récits maritimes. Ce magnifique ouvrage contient même une préface de Colombe Saint-Pierre !
L’animatrice de l’émission radiophonique D’un soleil l’autre renoue avec son amour pour le journalisme de terrain dans ce tour visuel et commenté du Québec maritime. Elle nous conte, entre autres, l’histoire de pêches qui s’éteignent : celle de l’anguille et celle de la morue surtout. Il est facile de détruire un stock : « C’était l’une des plus grandes populations de poissons sauvages de la planète. […] La grande pêche qui a créé Terre-Neuve, la Gaspésie et la Côte-Nord n’est plus. »
Aujourd’hui, l’assise des pêches québécoises repose sur ce « trio de feu » : le homard (près de six cents pêcheurs s’y consacrent. Un record de captures, notamment, a été atteint aux Îles-de-la-Madeleine en 2022), le crabe des neiges (très prisé des Asiatiques) et la crevette (connaissant cependant une diminution importante, son milieu marin « évoluant »).
La petite fille de Rivière-Ouelle, dans le Bas-du-Fleuve, nous fait apprécier bien d’autres délices de ce garde-manger du Saint-Laurent : bourgots, bigorneaux (des fruits de mer, « gros mal-aimés » d’autrefois dont la popularité est croissante), mactres de Stimpson (des « clams » ou palourdes), calmars, sébastes, éperlans, capelans, maquereaux, …
Elle nous raconte ce retour du thon rouge (une « histoire à contre-courant de la diminution d’un stock »), un mastodonte pesant des centaines de kilos qui revient nager dans le Saint-Laurent. Elle nous entretient de la curieuse anatomie du flétan (« principale source de revenus pour plusieurs pêcheurs ») « voyant la vie d’un seul côté ».
Elle nous narre les mille et une merveilles de l’esturgeon noir (on en capture près de 6 000 par année au filet maillant, dans l’estuaire du Saint-Laurent), « fossile vivant de 125 millions d’années » à la peau recouverte de plaques osseuses; du pétoncle « se déplaçant en claquant de la coquille »; de l’oursin de mer « dont on ne mange que les organes sexuels »; du concombre de mer, à la pêche commerciale récente, convoité par les Asiatiques pour ses propriétés aphrodisiaques et thérapeutiques, « curieux animal » à l’allure « d’un petit ballon de football », vivant accroché sur les fonds.
Hélène Raymond part, de plus, à la rencontre de quelques-uns des 1 000 capitaines québécois, ces « travailleurs de la mer » qui souhaitent nous faire partager leur savoir-faire : Clément Soucy, de Matane, un chauffeur de taxi qui, portant un soudain intérêt pour des « bibittes rouges », acquiert une chaloupe et devient le « premier pêcheur commercial de crevettes nordiques du Québec »; Camille Gagné, de Carleton-sur-Mer, la première Gaspésienne capitaine-propriétaire d’un bateau de pêche de crabe des neiges (« Mon nom a couru vite sur les quais de la Gaspésie ! »); Christian Vigneau, des Îles-de-la-Madeleine, qui a obtenu le premier permis d’élevage de moules en haute mer, parvenant à protéger sa mariculture des razzias des canards de mer; Alexandra Labbé, de Cannes-de-Roches, qui, contemplant le décor du fleuve de son Noroît, s’extasie : « J’exerce le plus beau métier du monde ».
Cette tournée du Québec maritime nous fait croiser bien d’autres remarquables artisans : d’irréductibles Gaspésiens qui, depuis le milieu du XVIIIe siècle, continuent de préparer cette spécialité québécoise qu’est la morue salée séchée; des « résistants de l’estuaire », des cultivateurs-pêcheurs comme Pierre et Georges-Henri Lizotte, Rémi Hudon, Josée Malenfant et Simon Beaulieu de Rivière-Ouelle. Il y a aussi Bruno Ouellet, à Kamouraska, qui, tout en exploitant sa ferme laitière ou caprine, assure la pérennité d’un monde en poursuivant la capture des anguilles ou des esturgeons : « C’est trop l’fun ! », s’exclame-t-il.
Ils ont une grave préoccupation ces besogneux de notre fleuve, ils rêvent de mise en marché locale, d’un mouvement massif des Québécois·es venant s’approprier leurs produits. Dan Dupuis, de Rivière-au-Renard, l’exprime clairement : « Vous imaginez ? Une terrasse, une pile de crevettes nordiques, une bière locale ? »
Le monde des pêcheries, souligne Hélène Raymond, « se transforme, change de l’intérieur ». « Ce qui ne faisait saliver personne devient ‘tendance’ comme les algues et les plantes marines. » Antoine Nicolas, de Gaspé, effectue un véritable « travail de pèlerin » en ce domaine, en commercialisant ses algues séchées.
Réjean Vigneau, de Cap-aux-Meules, bataille depuis des décennies pour « mettre de la viande de phoque dans nos assiettes » notamment puisque « l’explosion de certaines de leurs populations fait rager les pêcheurs ». Il y a un fort travail d’éducation populaire à accomplir, surtout depuis le boycottage européen. Le chef Kim Côté réplique à cette interdiction européenne par l’arme de l’humour en servant, à son restaurant de Kamouraska, son « Phoque Bardot Burger ».
Hélène Raymond, Colombe Saint-Pierre et bien d’autres passionné·es du Saint-Laurent espèrent l’émergence d’un mouvement citoyen, d’une révolution alimentaire québécoise. Il faut se regrouper autour « d’une fourchette bleue », lier écologie et gastronomie en eaux marines, inventorier les espèces marines à consommer, entamer le virage indispensable de l’approvisionnement de proximité, déployer les produits marins sur les marchés locaux, faire connaître ce qui est capturé et élevé ici, et garantir son origine.
Et c’est à l’aide d’un convaincant « Mange ton Saint-Laurent » que la fière fille du Bas-du-Fleuve conclut cette exaltante visite des communautés maritimes et de la pêche au Québec.
– Christian Vachon (Pantoute), 26 mai 2024
Portraits du Saint-Laurent
Au Québec, la pêche commerciale fait partie intégrante de notre histoire et de notre paysage. Multipliant ses voyages dans le Québec maritime, depuis le Bas-Saint-Laurent jusqu’à la Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine et aux limites de la Côte-Nord, grâce à ses innombrables rencontres, Hélène Raymond se passionne pour cet univers trop longtemps passé sous le radar de nos préoccupations. En reconnaissant l’immense privilège de disposer de ces trésors à portée de quais et de fourchettes, elle défend des pratiques pérennes et milite pour leur accessibilité.
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