L’extrême droite ne nous empêche peut-être pas de dormir, mais elle fut suffisamment visible et bruyante lors de la décennie précédente au Québec pour qu’une équipe d’une dizaine de chercheurs du CEFIR (Centre d’expertise et de formations sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation), au cégep Édouard-Montpetit, enquêtent sur cette turbulente mouvance. Sous la direction de Martin Geoffroy et de Marc Imbeault, ils usent d’une perspective socio-historique pour analyser le phénomène. Ils nous présentent leurs travaux dans La montée de l’extrême droite au Québec (2010-2020), publié aux P.U.L., traçant le portrait d’un mouvement multiforme, carburant au discours émotif et ne venant pas de nulle part.
Ses racines sont très profondes, vigoureuses surtout dans les années trente, en usant abusivement d’un plaidoyer ou se mêle confusément pureté des origines, haine de l’establishment et antisémitisme (chapitre 2 par Marc Imbeault).
Pas vraiment, donc, un produit d’importation au Québec. L’extrême droite est historiquement un écosystème franchement volubile qui se décompose et se recompose au gré des événements. On voit alors, au cours de la décennie faste en péril culturel et politique des années 2010-2020, surgir ou prospérer : des mouvements anti-autorité et adeptes des théories du complot, surtout actifs dans l’Ouest canadien (chapitre 8 par Gabrielle Lavigne-Desnoyers et Frédéric Ouellet et chapitre 9 par Donald J. Netolitzky); un groupement d’un milliers d’intégristes catholiques fort fervents, tenant une école traditionaliste à Lévis (chapitre 5 par Martin Geoffroy); et, surtout, des groupes exploitant cette hantise du « grand remplacement » ; l’étranger fait maintenant plus peur que l’anglophone (chapitre 6 par Émil Archambault et Yannick Veilleux-Lepage). Les tensions entre l’orientation nationaliste strictement canadienne et l’orientation « européenne transnationale » vont plomber le mouvement. Il y a aussi cette Meute, pur produit québécois, fondée en 2015 (chapitre 7 par Morad Bkhait, Stéphanie Tremblay et Martin Geoffroy), qui, avec ses 43 000 abonnés sur Facebook, entend incarner le vrai peuple, publiant même un manifeste s’engageant à défendre la laïcité, la démocratie et les droits et libertés face à ces « ennemis de l’intérieur » que sont les islamistes.
Cette extrême droite, Convoi de la liberté et autres, a changé d’identité depuis 2020, mais les thèmes qu’elle exploite, plus civilisationnels que nationalistes, usant du langage de la décadence, demeurent les mêmes : insécurité culturelle, laïcité à instrumentaliser, establishment aveugle au désir du peuple. Et le défi pour les chercheurs, pour ceux et celles qui, sans faire d’insomnie, ne minimisent pas les dangers de ces spécialistes de l’intimidation, reste également semblable : comment parler d’immigration et de multiculturalisme sans pour autant attiser les discours extrémistes ? Comment contrecarrer cette virulence émotive de l’extrême droite autrement que par des reportages sensationnalistes sur le sujet ?
« Difficile, » admet en conclusion Frédéric Boily, « de trouver le ton juste. »
– Christian Vachon (Pantoute), 22 juin 2025
La montée de l’extrême droite au Québec (2010-2020)
Les propositions réunies dans ce livre tentent d'expliquer la montée de l'extrême droite et de groupes radicaux dans la décennie 2010-2020 non seulement au Québec mais également au Canada, leurs motivations, leurs sources d'inspiration et leurs multiples ramifications.
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