Si un de vos ancêtres a pour nom Bourgault, Devault, Hotte, Duguay ou Beauchamp, il est sans doute ce criminel, ce contrebandier, ce récidiviste de Saintonge, d’Anjou, de Franche-Comté. Il a probablement été forcé, il y a plus de trois cent ans, de refaire sa vie loin, loin de sa terre natale. Le généalogiste Marcel Fournier, aidé de l’historien Rénald Lessard, nous prouve tout cela dans ce Faux-sauniers et contrebandiers de France déportés au Canada : 1730-1743 publié ce printemps 2023 aux éditions GID.
La Nouvelle-France attire peu les Français depuis la fin du XVIIe siècle (deux tiers des Québécois francophones proviennent des immigrants établis avant 1680), un sérieux problème au début des années 1730 pour les vigoureux gouverneur Beauharnois et intendant Hocquart à la recherche de bras supplémentaires pour faire prospérer la colonie. Faute d’une immigration volontaire, ils vont recourir, avec l’appui enthousiaste de Maurepas, secrétaire d’État à la Marine, à la migration contrainte. Ils feront donc déporter faux-sauniers (les contrebandiers du sel – un commerce, monopole d’État, dans les différentes provinces de France – le vendant, en fraude, sans faire payer la taxe nommée la « gabelle ») et autres contrebandiers de matières interdites, dont le tabac, en Nouvelle-France. Un premier contingent, arrivé à Québec en 1739, semble satisfaire les administrateurs, comblés de cette « main d’œuvre habituée à travailler dans des conditions pénibles ». Plus de 90 de ces « exilés involontaires » vont être accueillis uniquement lors de l’année 1733. Au total, ils seront 633 faux-sauniers et contrebandiers à débarquer au Canada.
Le chercheur Marcel Fournier, dépoussiérant depuis plus de quarante ans les vieux registres d’Amérique et d’outre-mer, nous retrace le destin de 396 de ces déportés à l’aide de courtes notices biographiques dans la seconde partie de l’ouvrage.
On y apprend :
– qu’une bonne majorité d’entre eux s’engagent comme domestiques ou journaliers auprès du gouverneur ou des habitantes, ou dégotent un boulot au chantier naval ou aux Forges du Saint-Maurice. Plusieurs dizaines de ces exilés vont aussi s’intégrer aux Compagnies franches de la marine;
– que la quasi-totalité des faux-sauniers sont célibataires (une quinzaine seulement sont mariés et très peu d’entre eux parviendront à faire venir leur famille en Amérique);
– que près de la moitié réussira à retourner en France, soit clandestinement (par une embarcation ou en fuyant vers les colonies anglaises) ou en obtenant une lettre de révocation de la condamnation (pour incapacité, pour infirmité ou même pour cause de folie);
– qu’une bonne partie d’entre eux, toutefois, entreprennent après quelques années de « s’installer », faisant l’acquisition d’une terre ou d’une auberge. Cent vingt-trois vont se marier, quatre-vingt-sept auront des enfants et, de ce nombre, cinquante-neuf ont laissé une descendance patronymique jusqu’à ce jour : Chaput, Massé, Pétrin, Pineau, Philippon, Loignon, …
Ils viennent d’un peu partout en France, apprenons-nous au chapitre « Quelques données sociodémographiques » : de Dieppe, de Rouen, de Grenoble, du Pays de la Loire, en particulier, « foyer de la contrebande du sel ».
On retient aussi qu’une dizaine de ces faux-sauniers qui ont, entre autres, pour nom Gilbert, Voyer, Poirier et Leduc dit « Duracuir », vont contribuer à cette colonisation de la Beauce qui s’amorce, « cette voie de passage entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre » à la fin des années 1730.
Souvenons-nous, de plus, que la traversée vers l’Amérique n’est toujours pas une sinécure en ce milieu du XVIIIe siècle : plus de 29% des déportés doivent être hospitalisés à l’Hôtel-Dieu de Québec à leur arrivée.
Un succès, finalement, cette migration contrainte ? Le bilan s’avère mitigé. L’enthousiasme initial s’essouffle alors qu’il devient de plus en plus difficile de placer les exilés et la Guerre de succession d’Autriche, après 1743, va interrompre définitivement la migration. Les échecs seront plus nombreux que les réussites et la contribution au peuplement définitivement minime.
Ne dédaignons tout de même pas cet apport « d’insoumis » à notre héritage généalogique.
– Christian Vachon (Pantoute), 23 juillet 2023
Faux-sauniers et contrebandiers de France déportés au Canada, 1730-1743
Entre 1730 et 1743, quelque 900 Français ont été déportés en Nouvelle-France sur les ordres du roi pour des crimes reliés au faux saunage ou à la contrebande de matières interdites en France. Les archives canadiennes permettent de retrouver les noms d’environ 400 faux-sauniers et contrebandiers qui ont séjourné au Canada au milieu du 18e siècle. Si la majorité est rentrée clandestinement en France, 128 individus ont fondé une famille en Nouvelle-France devenant ainsi les ancêtres de milliers de Québécois. Ce livre relate l’histoire de ces contrebandiers du sel depuis leur naissance en France, leur incarcération et leur parcours au Canada, à travers 396 notices biographiques.
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