Un événement rare et sensationnel se produit en décembre 2010 : l’analyse ADN de la minuscule extrémité d’une dernière phalange, datée de plus de 50 000 ans et découverte dans une grotte de Sibérie, confirme que nous avons un nouveau membre, « ni sapiens, ni martien », dans la famille humaine : Denisova, le frère oriental de Neandertal. Pour la première fois, à l’étonnement et l’incrédulité des paléontologues, « une espèce est définie par ses gènes et non par ses fossiles ». Les découvertes spectaculaires s’enchaînent depuis, nous obligeant à réécrire l’histoire du peuplement de notre planète. La paléoanthropologue française Silvana Condemi et le journaliste et vulgarisateur scientifique François Savatier, auteurs des précédents Neandertal, mon frère et Dernières nouvelles de Sapiens, nous entraînent avec leur Énigme Denisova (paru en cette fin d’hiver 2024) dans cette fantastique épopée scientifique où se confirme, d’une façon catégorique, que nous venons tous d’Afrique.
L’existence d’une autre grotte « à Denisova » à l’extrême nord du plateau tibétain sera attestée, en 2019, par l’analyse des gènes d’une mandibule découverte en 1980, mais « l’ADN ne suffit pas à lui seul pour livrer une définition claire de l’espèce ». Les paléoanthropologues, « spectaculairement outillés », capables de percer les secrets des fossiles jusqu’à révéler les groupes sanguins des individus correspondants, leurs microbes, leur alimentation et leur âge avec une précision exquise, prennent alors le relais des généticiens de l’Institut Max-Planck de Leipzig, eux qui, remercions-les, furent les seuls à croire « qu’on pourrait un jour extraire de l’ADN ancien » (et éliminer l’obstacle de la contamination) dans les années 80, eux qui confirmèrent aussi, en 2010, qu’il y a bel et bien eu un métissage entre Sapiens et Neandertal, prouvant que le génome des Eurasiens actuels contient entre 1% et 4% d’ADN néandertalien.
Les chercheurs s’attardent d’abord à cette « autoroute steppique » qu’on a trop sous-estimée, cette voie qu’emprunte l’Homme il y a 800 000 ans, depuis l’Afrique (la « troisième vague » à sortir de ce continent; une quatrième, celle de Sapiens, va déferler six cent mille ans plus tard) et qui le mène « [à] un nouveau stade évolutif ». Il va devenir Denisova, tandis que ses frères et sœurs, qui se dirigent vers l’ouest à la sortie du continent africain, se transforment en Neandertal.
En plus de 600 000 ans, les Dénisoviens vont occuper un immense triangle comprenant l’Inde, l’Asie du Sud-Est et l’Asie continentale, entrant en contact avec les Néandertaliens dans le carrefour de l’Altaï (l’occupation de l’Australie et de quelques autres îles océaniques va attendre l’arrivée de Sapiens). Vont-ils, alors, entrer en conflit avec Homo erectus, ces descendants de la deuxième vague qui peuplèrent ces territoires plus d’un million d’années auparavant ?
On croit que non. En fait, de nombreux indices géologiques laissent envisager que cette troisième vague pénètre « dans une région dévastée et largement vidée de ses habitants par un énorme impact [de] météorite » à proximité de la mer de Chine, produisant un refroidissement (par un nuage de poussière filtrant le rayonnement solaire) qui rend la nourriture rarissime. Seul l’étrange Homme de Flores, descendant sans doute d’un Homo erectus insulaire, aurait survécu sur son île relativement éloignée du choc de la météorite.
À quoi ressemble ce Denisova ? Grâce, en grande partie, aux excellents préhistoriens chinois qui ont accumulé, sans le savoir, des fossiles sans doute dénisoviens, on peut s’en faire un portrait réaliste, que reconstitue le talentueux illustrateur Benoît Clarys dans L’énigme Denisova. Ses apparences sont sûrement proches du Neandertal, partageant avec lui cette constante, due à la pratique de la cuisson des aliments, de l’augmentation de la capacité crânienne, mais elles finiront par diverger, chacune des deux sous-espèces évoluant en parallèle dans des écosystèmes très différents. Denisova, prospérant sous les tropiques, se singularise franchement après 400 000 ans, sa face étant moins haute que celle de ses frères et sœurs Neandertal vivant dans une Europe plus frisquette.
Comment vit-il, ce Denisova ? Difficile à dire, car « son mode de vie se dissout dans la forêt ». L’Asie d’alors, tout comme celle d’aujourd’hui, est « l’empire du bambou ». « Il est partout, et c’est ainsi depuis la nuit des temps. » Ce végétal « change le comportement de chaque nouvelle forme humaine généraliste parvenue en Asie ». Le bambou joue le rôle de matière première universelle, même rôle « que joue la pierre en Eurasie occidentale », mais il ne laisse toutefois pas de traces.
Denisova, sur bien des aspects, reste une énigme. Denisova, c’est également ce « grain de sable qui grippe la machine à siniser l’origine de l’humanité », un barrage à cette « délicieuse tentation » de la Chine « de se croire au centre du monde ».
Pour les Chinois, la « référence absolue de l’humanité », c’est ce fossile du sinanthrope, dit « l’Homme de Pékin » (mis à jour dans les années 1920 et « égaré » lors des temps troublés des années 1940), un homme ayant vécu bien avant l’ère dénisovienne, à l’origine, prétendent-ils, de cet archétype chinois « qui s’est maintenu à travers le temps ». Denisova n’en serait « qu’une forme transitoire ». Dans l’Empire du Milieu, il est préoccupant d’admettre « que c’est toujours l’Afrique qui a produit forme humaine généraliste après forme humaine généraliste » et dont les expansions ont tout changé, tant en Europe qu’en Asie.
Les Asiatiques, tout comme les Européens, n’ont pas échappé au métissage. « Les Extrêmes-Orientaux portent 1 à 5% d’ADN dénisovien, preuve de plus du phénomène des sorties d’Afrique. »
– Christian Vachon (Pantoute), 11 août 2024
L'énigme Denisova
Le séquençage de l'ADN contenu dans une phalange découverte dans une grotte en Sibérie a permis d'établir qu'il y a 50.000 ans l'homo sapiens partageait la planète avec l'homme de Neandertal et une troisième espèce, dite l'homme de Denisova. Les auteurs enquêtent sur ses origines, son développement géographique des monts de l'Altaï aux Philippines et sa longévité.
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