Quand les vers d’oreilles éveillent des images

Christian Vachon - 8 juin 2022

       My Heart Will Go OnTake My Breath Away:  elles sont légions ces chansons accrochées au succès d’un film, et il y a longtemps, très longtemps, Petit papa Noël et Les copains d’abord furent, eux aussi, très brièvement, parmi ces vers d’oreille qui, pour le meilleur ou pour le pire, font renaitre des images.

         Ce sont quelques-unes des multiples révélations de 101 chansons de films d’Alain Pozzuoli et Philippe Sisbane, publié, ce printemps 2022, aux éditions du Layeur. Ce livre est consiste en une agréable exploration des tunes célèbres du cinéma mondial, du Toot, toot, tootsie (Goodbye) d’Al Jolson  du Chanteur de Jazz, à No Time to Die, où sont évoquées, avec un égal bonheur, autant les riches qualités d’un film (le Cabaret de Bob Fosse qui « efface les frontières entre le spectacle et la vie »), que les adaptations les plus incongrues d’une chanson (le Jailhouse Rock d’Elvis Presley devenant chanté par Johnny Farago, le Rock de Bordeaux).

          Bien sûr, on retrouve de grands incontournables dans ce bel album, abondamment illustré, de plus de 200 pages :  Un jour mon prince viendra (Some Day my Prince Will Come), de Blanche Neige et les sept nains ;  Over the Rainbow, du Magicien d’Oz (qui, parce qu’il  « ralentissait l’action », faillit disparaitre au montage) ;  Singin’in the Rain, du film « magique » du même nom, repris sur un rythme « disco », en 1977, par une certaine Sheila ;  Si toi aussi tu m’abandonnes, du Train sifflera trois fois (High Noon) ;  Que sera sera , chanté par Doris Day, et écrit à la demande expresse d’Hitchcock pour son Homme qui en savait trop ;  le Moon River, déplaisant tant aux producteurs, fredonné par Audrey Hepburn, dans Diamant sur canapé (Breakfast at Tiffany’s) ; les « da ba da ba da » de Nicole Croisille et Pierre Barouh, du Un homme et une femme de Claude Lelouch ; la suggestive Mrs Robinson de Simon & Garfunkel, du Lauréat (The Graduate) ;  le joyeux Raindrops Keep Fallin’on My Head (inspiré de Singin’in the Rain), de Hal David et Burt Bacharachdu Butch Cassidy and the Sundance Kid ; le hit, en 1971, de Mireille Mathieu, Une histoire d’amour, tiré de Love Story,…

      Deux films :  West Side Story (avec les romantiques Maria et Tonight, et l’insolente America, de Sondheim et Bernstein), et Saturday Night Fever ( un « triomphe inouï », grâce à ses « dance disco » Stayin Alive et Night Fever, et au slow How Deep is Your Love, aux 40 millions d’exemplaires vendus, des Bee Gees) retiennent une attention toute particulière.

      Le cinéma français, tant ses bons que ses mauvais coups, n’est surtout pas ignoré des deux grands amoureux du 7e art, nous rappelant, entre autres, le « réalisme poétique mal reçu par les critiques et le public », en 1946, des Portes de la nuit, de Marcel Carné (où Yves Montand chante ses Feuilles mortes),  ce « film à l’américaine avec facture française » Du rififi chez les hommes, en 1957, de Jules Dassin, le « naïf et léger »  Cherchez l’idole, en 1964, où Charles Aznavour partage la vedette avec Johnny Halliday, l’audacieux Vieille dame indigne, en 1965, de René Allio (où on entend On ne voit pas le temps passer de Jean Ferrat), et ces gigantesques succès :  Les Bronzés, en 1978, de Patrice Leconte (renfermant ce cliché de tube d’été, « reggae et disco »Sea, Sex and Sam, de Serge Gainsbourg), La Boum, en 1980, de Claude Pinoteau (nous révélant, en même temps que Sophie Marceau, le slow Reality), et, l’année suivante, le Diva, de Jean-Jacques Beineix (« petit film miracle » qui va lancer La Wally, chantée par Wihelmenia Wiggins Fernandez, et la mode des « music tracks » classiques).

Et les deux auteurs, évidemment, n’hésitent pas à rendre hommage à Jacques Demy, ce singulier génie du cinéma français, le seul à faire, avec ses Parapluies de Cherbourg et les Demoiselles de Rochefort, des films entièrement chantés.

Il y a, dans ce répertoire, bien des œuvres qu’on ne se lasse jamais de revoir :  l’éternellement jeune, décapant et provocant, A Hard Day’s Night de Richard Lester (dont la chanson titre des Beatles sera transformée, en France, en Je me bats pour gagner) ; le Docteur Jivago (et sa mémorable Chanson pour Lara) au « souffle poétique » ; le « cauchemar totalitaire », à l’efficacité redoutable, du Brazil  de Terry Gilliam (faisant si brillamment  contraster la mélodie solaire, chantée par Francisco Alves avec l’univers désespérant des images).

Un Sacco et Vanzetti, toutefois, au propos très « intransigeant » politiquement,  malgré le succès, à l’époque, au début des années 70,  de son Here’s to You, chanté par Joan Baez, s’est depuis, fort longtemps, évanoui de nos mémoires.

Et il y a ces cas, aussi, où la seule réussite incontestable du film est sa musique et ses chansons, à un point tel qu’elles effacent complètement le souvenir de son support initial.  Citons l’exemple, en 1946, d’un Destins, au scénario mince, mince (Tino Rossi y chante son Petit papa Noël), ou, en 1965, des Copains d’Yves Robert, dont le ton subversif, collant trop à l’époque, vieillit fort mal (alors que Georges Brassens y fredonne un Copains d’abord universel et sans âge).

Ajoutons-y le « conventionnel », et fort oublié, D pour Danger (A Man Could Get Killed ;  Frank Sinatra y exécute, en 1966, pour la première fois, son Strangers in the Night) ; le très, très moyen Cavalier des sables (The Sandpiper) de Vincent Minnelli (popularisant, en dépit de tout, dans les années soixante, The Shadow of Your Smile de Tony Bennett) ; la « plus mauvaise réalisation » de Charlie Chaplin, La comtesse de Hong Kong, qui a pour seul mérite de nous faire découvrir, en 1967, ce This Is My Song, interprété par Petula Clark.

    Agrafons, enfin, à cette impertinente liste cet « ovni cinématographique » de 1967, le « délirant et confus » Casino Royale où on peut entendre la plus sensuelle et envoûtante mélodie (inspirée, comme il se doit, par Ursula Andress) de l’histoire, le Look of Love de Hal David et Burt Bacharach, un air repris, dans les années 90, par la sensationnelle Diana Krall.

   Axant une bonne partie de leur sélection sur les années 60 et 70 (près de la moitié des titres), Pozzuoli et Sisbane vont, pour les décennies suivantes, retenir surtout des succès inattendus :  la « fable, moderne et déconcertante » , en 1987, de Percy Adlon Bagdad Café (et son Calling You) qui va toucher profondément le public « par son originalité » ; Priscilla, folle du désert (récupérant le disco « kitsch et entraînant » I Will Survive de Gloria Gaynor), réquisitoire, en 1994, contre « la bêtise et l’homophobie » ;  « le hors-norme » Moulin Rouge, en 2001, de Baz Luhrmann (remettant au goût du jour Lady Marmelade) ; le tout aussi déroutant, et plébiscité, malgré tout, par le public, Mamma Mia !, en 2008 (nous abreuvant des airs, gorgés d’optimisme, du groupe ABBA).

De remarquables absents, c’est inévitable, dans cette liste sélecte ; un peu surpris, notamment, de ne pas y retrouver le brillant Always Look on the Bright Side of Life, des Monty Python, entamé, si allégrement à la fin de leur Life of Brian, ou le percutant Don’t You (Forget About Me) de Simple Minds, composé spécialement pour le Breakfast Club (jamais un air n’a si bien collé à l’esprit d’un film).

   Étonnante, également, cette sélection du plutôt terne No Time To Die, de Billie Eilish et Finneas O’Connell, sachant surtout qu’une autre chanson générique d’un James Bond, la si extraordinaire Skyfall d’Adele, a été ignorée des deux auteurs.

     Tout de même, Pozzuoli et Sisbane méritent mes éloges pour avoir su faire place à ce foudroyant coup de cœur, le Everybody’s Talking, interprété par Harry Nilsson, de Macadam Comboy (Midnight Cowboy), exemple unique « d’un lien dans la mémoire collective du public entre une chanson et un film », hommage, aussi, par le détour, à une œuvre inspirante du réalisateur John Schlesinger, l’histoire de Joe Buck et Ratso Rizzo, loosers magnifiques et pitoyables, égarés à New York, récit tout aussi poignant (une émotion amplifiée, merveilleusement, par la musique de John Barry) et dévastateur en 2022, que lors de sa sortie en salle, en 1969.

Culture générale

101 chansons de films.

Alain Pozzuoli et Philippe Sisbane - Du Layeur

101 chansons de films

Une chanson constitue souvent l'un des éléments essentiels de la renommée d'un film, mais il arrive aussi que cette chanson ait été un tel succès qu'elle en efface totalement le souvenir de son support initial : qui se souvient que Strangers in the Night, qu'interprète Frank Sinatra, est tirée du film D pour Danger ; ou Les copains d'abord, de Georges Brassens, du long métrage Les copains ?

De Smile, écrite par Charlie Chaplin pour son film Les Temps Modernes en 1936, à No Time To Die, générique du James Bon Mourir peut attendre, ce livre présente 101 chansons de films parmi les plus célèbres du cinéma mo

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