Tigre trop gourmand, libérateurs trop entreprenants et autres mythes revisités de la Seconde Guerre mondiale

Christian Vachon - 13 mai 2024

Stéphane Roussel, professeur à l’École nationale d’Administration publique (ENAP), aime bien être à l’affût de tout ce qui s’écrit de pertinent sur les aspects militaires et stratégiques de la Seconde Guerre mondiale. Il sait aussi partager sa passion à des milliers d’auditeurs d’ICI Radio-Canada à l’émission Aujourd’hui l’histoire, approfondissant et nuançant quelques aspects critiques de ce gigantesque affrontement. L’éditeur Septentrion vient de publier, dans La Seconde Guerre mondiale : Allemands et Canadiens face à face, un recueil regroupant six des interventions de Monsieur Roussel à cette émission radiophonique, où il relate quelques faits d’armes de nos soldats, dépoussière des mythes et traite au passage de blindés allemands gourmands et encombrants, de libérateurs canadiens désœuvrés et trop entreprenants.

Ainsi, dans « La Schutzstaffel (SS), organisation criminelle nazie aux pouvoirs tentaculaires », il démontre que la réputation de corps d’élite de la Waffen SS (la branche militaire de la SS) n’est, en fait, qu’un « mirage » pour favoriser sa progression. Ses officiers baignent surtout dans une « culture meurtrière » et violente, « point de jonction entre la culture militaire allemande et l’idéologie nazie ». Il le prouve avec cet autre texte, « Les massacres de prisonniers canadiens en Normandie » : entre le 7 et le 17 juin 1944, sur ce champ de bataille, 156 soldats canadiens ont été exécutés par des combattants de la 12e SS Panzers, la grande majorité au cours des premiers jours. Kurt Meyer, le commandant de cette unité, poursuivi et condamné par un tribunal canadien, dédouane ses crimes par l’alibi « des représailles pour des gestes posés par les Alliés ».

Dans « Mythes et légendes de Rommel », Stéphane Roussel précise comment « l’aura de génie militaire » du « Renard du désert » est quelque peu surdimensionnée par ses adversaires britanniques afin de donner de l’éclat à un front bien secondaire. Le parcours « sans tache » de Rommel (peut-être plus « par chance » que « par conviction ») a aussi été « instrumentalisé à titre posthume » pour étayer le mythe d’un « Werhmacht aux mains propres ».

Autre mythe revisité : celui du Tigre, « engin emblématique de la Seconde Guerre mondiale », symbole de la puissance et du « génie mécanique » allemands.

Ce « bunker mobile », ce « monstre de 57 tonnes […] très bien protégé, très bien armé », fascinant et répugnant, figure représentative de la « machine surpuissante et invincible au service d’un ennemi diabolique » dans notre culture populaire, est pourtant très révélateur des « mauvais choix stratégiques de l’Allemagne ».

Le panzer est très gourmand en carburant (ressource qui se raréfie en Allemagne) et sa mécanique est bien fragile (plus de la moitié des Tigre perdus le seront par abandon par leur équipage à la suite d’un dommage mineur). De plus, ils ne sont pas assez nombreux pour obtenir un « résultat stratégique ».

La photo montre un tank beige avec de grosses taches bleu-vert. Il fait face vers la gauche et est placé devant des arbres que l'on voit se détacher, en arrière-plan, d'un ciel gris.
Un tigre exposé à Vimoutiers, en France Crédits photo : afp via getty images / Jean-François Monier

Les Alliés évitent ce « cul-de-sac stratégique » à l’aide du Sherman, la « quantité l’emportant sur la qualité ». Le tank américain a mauvaise réputation avec son blindage faible et sa puissance de feu médiocre. Sa « haute silhouette » le trahit facilement. Mais facile à fabriquer, il est « le char industriel par excellence », permettant la standardisation du parc des blindés. Son entretien simple et le fait, entre autres, que sa largeur moins importante que la plupart des autres tanks facilite son transport par bateaux et péniches, en fait un brillant choix stratégique. Près de 50 000 « chars moyens » Sherman sont assemblés à Flint, au Michigan, entre 1942 et 1945, alors que seulement 1 350 Tigre allemands peuvent sortir des usines allemandes.

Le spécialiste de l’ENAP nous conte, dans « La longue route de Bomb et du Sherbrooke Fusilier », l’odyssée d’un de ces Sherman, mené par un équipage de cinq « cavaliers » canadiens à travers la France, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas. Bomb, un des très rare chars canadiens ayant participé au débarquement de Normandie le 6 juin et ayant survécu à toute la campagne de libération de l’Europe du Nord-Ouest, est récupéré in extremis (et sauvé de la casse) en juin 1945, dans un dépôt, et rapatrié au Canada. Il trône, depuis, dans la métropole de l’Estrie, devant le manège militaire du régiment Sherbrooke Hussars.

L’expert Roussel nous rappelle, enfin, cet autre grand fait d’armes : « La libération des Pays-Bas par les troupes canadiennes (1944-1945) ». Les Néerlandais sont, certes, très reconnaissants à l’endroit du Canada d’être venus à leurs secours (le démontrant d’ailleurs par l’envoi de milliers de tulipes à la capitale fédérale, par la famille royale hollandaise), mais l’attente fut tragiquement longue, surtout à la fin de l’hiver 1945, alors que la population mourrait de faim. Et cette « belle histoire d’amour » a été quelque peu nuancée depuis une dizaine d’années, la faute à des « méchants » historiens du Canada et des Pays-Bas. La coexistence d’une population néerlandais avec une armée canadienne nombreuse, « oisive, affligée du mal de pays », a posé « d’inévitables difficultés » qu’on a trop longtemps ignorées. Il ne faut pas oublier que ce sont 100 000 hommes qui sont encore aux Pays-Bas au début de janvier 1946. Ils ne vont être rapatriés, en totalité, qu’à la fin du printemps de cette année 46

À la « Holland’s Wild Crazy Summer » de 1945, ces délirants moments d’allégresse des premiers mois de la libération mènent à une multitudes d’incidents « fâcheux » à la fin de l’automne : accidents mortels causés par l’alcool, banditisme, pillage de maisons ou de commerces, attitudes « trop entreprenantes » de plusieurs soldats « à l’égard des jeunes hollandaises ». Il faut l’admettre, la société néerlandaise commence à trouver, au printemps 1946, la présence des libérateurs canadiens « parfois bien lourde ». Cela ne les empêchera toutefois pas de nous faire profiter de leurs belles tulipes.

– Christian Vachon (Pantoute), 12 mai 2024

Histoire

La Seconde Guerre mondiale : Allemands et Canadiens face à face

Stéphane Roussel - Septentrion

Stéphane Roussel, spécialiste des questions de sécurité militaire, explore le rôle des troupes canadiennes dans la Seconde Guerre mondiale, notamment lors de la campagne de l'Europe du Nord-Ouest en 1944-1945. Malgré leur contribution significative à la défaite de l'Allemagne, leur histoire est souvent négligée dans les grands récits du conflit. Le livre examine les rencontres marquantes entre les soldats canadiens et l'armée allemande, de la Normandie aux Pays-Bas.

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