Rien n’est éternel, même pas la fin de l’Antiquité

Christian Vachon - 30 juin 2025

Il fait preuve d’audace, ce Sylvain Destephen, enseignant d’histoire à l’université Caen-Normandie. Quoi ! Il ose remettre en question cette périodisation indiscutable de l’histoire plus que centenaire stipulant que la fin de l’Antiquité, le passage au Moyen Âge, est cet année 476, avec la destitution de Romulus qualifié d’Augustule (l’empereur minuscule), le dernier empereur romain d’Occident. L’événement est passé dans l’beurre à l’époque, soulève l’universitaire normand. Il existe une année réellement plus pertinente, une année où, politiquement, culturellement et démographiquement, le monde bascule, une année où la Méditerranée ne devient plus zone d’union mais d’opposition : l’an 542, là où Orient et Occident divorcent.

Il expose ses arguments dans cette nouvelle parution de la collection « Une année dans l’histoire » des Presses universitaires de France (P.U.F.) :  542, la fin de l’Antiquité. Qu’allègue-t-il ? Que c’est lors de cette année 542 que la guerre de reconquête, menée par Bélisaire depuis une dizaine d’années sous les ordres de l’empereur Justinien à Constantinople, lui qui est à la tête de « l’État le plus stable, le plus peuplé, le plus riche de tout le monde méditerranéen », va s’enliser en Italie. L’Occident romain va être perdu à jamais. L’Empire va désormais être limité à sa partie orientale. Dans le monde occidental, ce sont les Francs, en pleine expansion, réalisant pour la première fois de l’histoire l’union des Gaules, qui vont mettre fin à la vieille opposition entre Romains et barbares avec la conversion du roi Clovis. Ils vont pouvoir prétendre être les véritables successeurs des empereurs romains d’Occident.

Justinien, incapable de rétablir l’unité de la Chrétienté à l’Ouest, n’a plus les moyens de ses ambitions à l’Est. Il est contraint à une attitude défensive dans les Balkans et en Mésopotamie face à l’adversaire séculaire perse.

En fait, en cette année 542, les armées n’ont plus la force de se battre avec l’arrivée de la peste qui frappe Constantinople de façon virulente au printemps; une peste qui, en une vingtaine de vagues successives entre les VIe et le VIIIe siècles, va faire disparaître le monde plein et connecté, gorgé d’ambitions et d’espoirs, qui avait existé et prospéré dans le bassin méditerranéen, laissant la place à un monde morcelé, où les insularités s’accentuent et où les régionalismes s’accroissent. La « Mare Nostrum » n’est plus.

L’an 542, c’est aussi cette année où se termine cette tradition millénaire, fondée en 509 avant Jésus-Christ et même respectée par les rois ostrogoths après 476, de la nomination d’un consul à Rome. L’an 542, c’est aussi l’année de la disparition de Tribonien, expert juriste chargé par l’empereur Justinien de mener à bien l’uniformisation juridique, assurant une prédominance au grec, déjà langue sacrée du Nouveau Testament, comme langue de l’Empire, aux dépens du latin.  De là va naître le code Justinien.

Le processus d’uniformisation de la foi va aussi de pair avec le processus d’uniformisation de la loi. En l’an 542, donc, sévit Jean d’Éphèse, premier « inquisiteur » chrétien de l’Empire d’Orient, le « briseur d’idoles », convertissant les derniers « païens » d’Asie mineure, où les rejetant « aux confins de la civilisation ».

Beaucoup plus à l’ouest, en Provence, Césaire, le prestigieux évêque d’Arles, assure la prééminence de son Église au cœur du royaume franc. L’idée d’Empire, non plus grec, comme celui qui subsiste en Orient, mais latin, subsiste en Occident.

Cette nouvelle dynamique culturelle et religieuse, cette émergence d’une Europe occidentale en rupture avec l’Est autour de l’an 542, marque réellement le passage entre l’Antiquité et le Moyen Âge.

– Christian Vachon (Pantoute), 29 juin 2025

Histoire

542 : la fin de l'Antiquité

Sylvain Destephen - P.U.F.

Une étude de l'année 542, dans laquelle l'auteur développe pourquoi il s'agit d'un tournant historique majeur, en raison de la conjonction d'événements politiques, militaires, diplomatiques, religieux et culturels importants. Il évoque notamment l'échec de la reconquête de l'Occident romain par Justinien et l'épidémie de peste dans le bassin méditerranéen.

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