Ces verres de trop qui modifient le cours de l’histoire

Christian Vachon - 23 mars 2021

Qui n’a pas, un jour, vécu ces lendemains de brosse, pénibles, où, à travers les brumes de l’alcool et les douleurs du mal de bloc, s’incruste ce sentiment, teinté de honte, d’avoir été, il y a quelques heures à peine, l’auteur de terribles bêtises.  Parfois, un peu trop souvent, ces conneries sont lourdes de conséquences.   Parfois, beaucoup plus rarement (ouf !), ces gaffes peuvent même changer le cours de l’histoire.

Le journaliste français Benoît Franquebalme s’est amusé à rassembler, dans Ivresses : ces moments où l’alcool changea la face du monde, édité, cet automne 2020, chez JC Lattès, ces épisodes –plus d’une vingtaine d’exemples- où des verres de trop fit « basculer l’histoire », comme cet instant où, dégrisé, un garde du corps d’un président américain enregistre que : «Oups !  Je crois que mon boss s’est fait troué à cause de moi ».

Rien d’ennuyant, surtout, dans ces histoires d’ivrognes, bien documentées, et  narrées avec verve, par Benoît Franquebalme, qui a su parfaitement assimilé le constat de cet assoiffé d’écrivain Charles Bukowski :  « S’il ne se passe rien, on boit pour qu’il se passe quelque chose ».

Et il s’en passe des choses, grâce à cette divine bouteille.

Au chapitre premier : « Afrique, il y a dix millions d’années : Homo Picolus booste sa génétique », on y fait la preuve, si cette hypothèse, des années 2000, du « singe ivre » se révèle juste, que la consommation d’alcool (et non un monolithe noir venant de l’espace) aurait permis une accélération de l’évolution de l’homme.

Sans alcool, pas de progrès social, non plus, car le marxisme est le « fruit d’une beuverie de dix jours », en 1844, à Paris (chapitre XI) ; Marx et Engels se découvrant, mutuellement, « une extraordinaire affinité philosophique et éthylique »,

Sans la bière, inventée bien avant le pain, du moins selon l’énoncé de la « beer before bread theory » (chapitre II :  « Proche-Orient, 8 000 av. J.-C. : « Un peu de pain ?  Non, merci. Un demi » »), pas de pyramides également.  Cette boisson sert « d’encouragement et de salaire » -deux pichets de 4 à 5 litres quotidiennement- aux ouvriers égyptiens qui les édifient (chapitre III : «Égypte, 2 000 à 1 300 av. J.-C. :  Des pyramides pleines de mousse ! »).

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Moines médiévaux dans le cellier de bière, Joseph Haier (1873)

L’alcool interrompt, définitivement, l’élan d’un conquérant (chapitre IV : « Babylone, 323 av. J.-C. :  Alexandre le Grand achevé par le picrate à trente-deux ans »), ou freine, temporairement, l’expansion de l’empire Ottoman, le fils du grand Soliman, Selim II, ivrogne,  préférant, de loin, faire des ravages dans les caves et les harems du palais Topkapi, plutôt que dans les contrées voisines (chapitre VIII : « Constantinople, 12 décembre 1574 : Hammam fatal pour Selim l’Ivrogne .

Bons ou mauvais crus jouent aussi un rôle déterminant dans l’histoire de France.  « Un piège alcoolisé » (deux charrettes de vin de Saumur faussement destinés aux soldats français) permet à Bertrand du Guesclin d’affronter « un ennemi anglais titubant » (Chapitre VI : « Forêt de Chizé (Poitou), 21 mars 1373 :  La guerre de Cent Ans bascule grâce à un bon petit Saumur »).   La Révolution française s’enclenche non pas par la prise de la  Bastille, mais par une taxe, ignoble, sur le vin soulevant, les 12 et 13 juillet 1789, la populace de Paris aux cris de « Vive le vin à 3 sous !  À bas le vin à 12 sous ! » (chapitre X).  Le « Père Pinard », un vin de très mauvaise qualité, coupé à l’eau, livré quotidiennement aux « poilus » français, leur permet d’affronter les horreurs de la guerre des tranchées, contrairement aux schnaps (eau-de-vie de pommes de terre) qui abrutit, sans préavis, les combattants d’en face (chapitre XV : « Tranchée s du nord-est de la France, 1914-1916 :  Vin français : 1 –  Schnaps allemand : 0 »).

Pour le meilleur, et plus souvent pour le pire, la vodka –faut-il s’en étonner ?- imbibe l’histoire de la Russie.  Elle mène au désastre de 1905 (chapitre XIV : « Port-Arthur (Mandchourie), 5 janvier 1905 :  Le Japon défait la Russie grâce à dix mille caisses de vodka »).  Elle fait partie intégrante de la diplomatie sous l’ère de Staline :  « pour être respect du grand homme, il faut boire » (chapitre XVI :  « URSS, 1922-1953 :  La vodka, baromètre de la diplomatie soviétique »).    Elle pousse, un 31 décembre 1994, lors d’une « orgie d’ivrogne », un ministre de la Défense d’Eltsine, a commettre une énorme bourde (chapitre XX : « Mozdok, 31 décembre 1994 :  L’assaut sur Grozny décidé lors d’un réveillon à la vodka »).

Les passés de la Russie et de la France ne sont pas les seuls, loin de là, à s’imprégner d’odeurs de « tonne ».  « L’histoire américaine empeste l’alcool » ne se gêne pas d’affirmer Benoît Franquebalme, et il nous en livre de beaux échantillons.  L’alcool décuple l’audace et la créativité des premiers révolutionnaires américains (chapitre IX : « Boston, nuit du 16 au 17 décembre 1773 :  La révolution américaine doit tout au rhum »).  Les présidents américains Lincoln et Kennedy auraient, peut-être, échappés à leur assassinat respectif si leurs protecteurs « n’auraient pas trop forcé sur la bibine » (chapitre XII :  « Théâtre Ford de Washington, 14 avril 1865 : Pendant que Lincoln est assassiné, son garde du corps picole au saloon » ;  chapitre XVIII :  « Forth Worth (Texas), 22 novembre 1963, à 3 heures du matin :  Les gardes du corps de JFK vont avoir la gueule de bois »), tandis qu’un goût, immodéré, pour l’alcool d’un autre président nous a fait frôler la catastrophe (chapitre XIX :  « Washington, nuit du 24 au 25 octobre 1973 :  Nixon ivre mort en pleine alerte nucléaire »).

« Le coquin d’alcool, on s’en aperçoit, a mille façons de bouleverser le cours de l’histoire », et, sans doute, il en trouvera, bientôt, une autre manière, sachant (faut-il en rire ? faut-il en pleure ?) qu’un certain dirigeant d’un pays asiatique est le troisième d’une génération de chefs d’État au narcissisme pathologique « attisé par l’alcool » (chapitre XVIII : « Corée du Nord, 1948 à aujourd’hui :  Les Kim Jung, aussi bourrés que cintrés »).

Ivresses : ces moments ou l’alcool changea la face du monde.  Benoît Franquebalme, JC Lattès

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Benoit Franquebalme - Lattes

Depuis des siècles, les beuveries sont lourdes de conséquences et l’alcool a fait basculer l’Histoire plus d’une fois.

En Égypte, 2000 ans avant J.-C., les pyramides se sont bâties à grand renfort de bière. En France, la guerre de Cent Ans est gagnée grâce à des tonneaux de vin de Saumur. À Dallas, JFK est assassiné pendant que ses gardes du corps cuvent une gueule de bois. Au soir du 31 décembre 1994, un général russe, ivre, décide de lancer l’assaut sur Grozny, en Tchétchénie…

L’Histoire comme on ne l’a jamais bue !

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