Guy a un travail d’été

Christian Vachon - 25 mars 2021

Guy Delisle a un travail d’été.  L’auteur des lucides, et loués, reportages graphiques Pyongyang et Chroniques de Jérusalem fait, en ce début d’année 2021, dans « à la Rabagliati » avec ses Chroniques de jeunesse, publiées chez Pow Pow.   Pourquoi pas !  Surtout qu’il s’y prend,  à sa façon si particulière, appréciée de plusieurs, avec humour, dérision et sensibilité, émaillant sa bande dessinée de fines observations, toujours heureuses et profitables.

Habitant moi-même Limoilou, ma curiosité est, de plus, satisfaite par cette plongée à l’intérieur de cette usine de papier, tour à tour nommée la Reed (pour les quarante ans et plus), la Daishowa (pour les vingt ans et plus), et, maintenant, la White Birch ;  une usine, sur le bord de la Saint-Charles, dominant notre quartier avec sa haute tour crénelée semblant tout droit sortie de l’imagination flamboyante d’un illustrateur du Seigneur des anneaux (en fait, c’est plutôt New York, avec ses gratte-ciel art déco qui inspire, en 1927, dans ses plans, l’architecte George F. Hardy).   Et que trouve-t-on dans cette usine, à part de la pâte et papier ?  Du bruit (« il faut hurler pour s’entendre « ), de la chaleur, de l’humidité, et un environnement de machines qui, lorsqu’elles ne tombent pas en panne, menacent de vous dévorer (du moins un bras).   Après une heure, sur un « shift de nuit », dans cette ambiance, le jeune Guy Delisle trouve « déjà ça long »,  Pourtant, au milieu des années quatre-vingt, il va y passer trois étés, au poste de « papetier 6e main », avant qu’une offre d’un studio, inespérée, fasse basculer sa vie dans le monde professionnel de l’animation.

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L’usine de Papiers White Birch / Wikipadia

C’est son père, dessinateur industriel à cette « shop », qui invite l’adolescent Guy Delisle, né à Québec, en 1966, étudiant en arts plastiques, à appliquer pour cette « job d’été ».

Lui, « déjà pas à l’aise en société », socialise avec ce milieu ouvrier, où les préoccupations sont décidément éloignées des siennes (il n’est « pas prêt à boire une boire après une nuit blanche à bûcher »), et où il doit constamment répondre à ce « Du dessin ?  Qu’est-ce que tu comptes faire avec ça dans la vie ? ».

Des Chroniques de jeunesse, donc, enrichissantes, portrait social, à la fois drôle et compatissant, d’une humanité des plus diverses (on y croise des très gentils, et des très envieux –« si le vieux peut prendre sa retraite, j’aurai des chance de devenir « 4e main »-, des collègues bodybuildés, ou étudiants du soir en psychologie), un monde où ingénieurs et ouvriers ne se mélangent pas.

Chroniques de jeunesse n’est pas qu’un voyage socioculturel dans les années 80.  Chroniques de jeunesse, c’est aussi, et surtout, un récit intimiste.

Guy, à l’usine où travaille également son père, tarde à passer le voir.  Il est nerveux, en fait, « à l’idée de se retrouver seul avec lui ».

C’est que son père, séparé de sa mère, vit seul, depuis longtemps, dans son appartement.  Il a perdu l’habitude d’échanger.  Ses conversations, avec lui, tournent au monologue.  Tous les moyens sont bons pour emprisonner, chez-lui, ses sentiments.

Son père, depuis, est décédé.  L’usine de pâte et papier continue à tourner, à Limoilou, « nuit et jour, hiver comme été, sans lui », l’homme que Guy Delisle aurait aimé rencontrer.

BD québécoise

Chroniques de jeunesse

Guy Delisle - Pow Pow

Avant d'aller à Pyongyang, à Shenzhen et à Jérusalem, Guy Delisle a vécu à Québec où, durant trois étés, il a travaillé dans la même usine de pâte et papier que son père. Avec Chroniques de jeunesse, l'auteur revient sur son expérience de gars de shop, dressant un portrait drôle et touchant du milieu ouvrier et de ses années formatrices en tant qu'artiste.

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