Comment faire parler un mort célèbre

De tout temps, les vieux os attirent. Vous en doutez ? Philippe Charlier et David Alliot en multiplient les exemples dans la vingtaine de chapitres de leur Autopsie des cœurs célèbres : Descartes, Napoléon 1^er, Marat, Flaubert …, édité chez Tallandier. On y apprend qu’il y a deux siècles à peine, médecins et apothicaires s’approvisionnaient dans les cimetières ou au pied des gibets. Selon le chapitre 4 : « Mange tes morts :  la charmante pharmacopée d’époque », la poudre de crâne humain – pendu ou mort de façon violente – fut inscrite comme antiépileptique dans la pharmacopée anglaise jusqu’en 1909. En Chine, des pilleurs de tombes exhument le corps de jeunes filles décédées et les vendent… à des familles. Cette industrie encore florissante aujourd’hui permet de planifier un mariage post-mortem – un « mariage fantôme » – avec le fils récemment enterré de ces familles : mourir jeune et célibataire est de bien mauvais augure dans la tradition chinoise (chapitre 5 : « La menace fantôme : l’Empire (du Milieu) contre-attaque ! »).

Toutefois, le médecin légiste et archéologue Philippe Charlier, ainsi que le journaliste littéraire David Alliot, veulent surtout attirer l’attention sur une nouvelle science, une science où la France est à l’avant-garde avec leurs « histoire d’os amusantes ». Il s’agit de la protéomique : l’identification précoce des protéines, une science qui permet de faire parler les morts, d’en connaître beaucoup sur leur environnement avec quelques milligrammes d’un échantillon, que ce soit de la poussière d’ossements, une tache sur un textile ou un résidus déposé sur une céramique. C’est une science qui risque également de faire des musées d’archéologie, dépositaires miraculeux de centaines de milliers d’échantillons, « les laboratoires médicaux de demain » (chapitre 18), prouvant une nouvelle fois que « les morts peuvent être utiles aux vivants ».

Cette science ne remplace pas la génétique puisqu’elle elle n’apporte pas de réponse à elle seule, mais la complète, « et parfois s’y substitue quand l’ADN ne peut être exploitable ».

En bons vulgarisateurs, Charlier et Alliot nous présentent différents exemples où, à l’aide de cette protéomique ou d’autres méthodes plus adéquates, on tente de faire parler les morts : la Marie-Madeleine des Évangiles est-elle enterrée en France ? Chapitre 2 : les études de ses reliques supposées, à Vézelay en Bourgogne, demeurent peu concluante. Napoléon est-il mort d’une cause naturelle ? Chapitre 11 : l’origine de son décès demeure indéterminées : « il faut plus d’éléments pour éliminer définitivement l’hypothèse d’un empoisonnement de Napoléon ». Un environnement toxique, par exemple, a pu jouer un rôle dans l’évolution naturelle de sa maladie.

Les auteurs examinent entre autres les restes de Descartes. Trois ossements (des admirateurs, au cours des siècles précédents, « se sont servis au passage ») et son crâne, exhumés en 2020 à l’église de Saint-Germain-des-Près, vont se révéler très bavards pour l’expert en paléo-pathologie Charlier (chapitre 6) : le célèbre philosophe n’est pas mort d’un empoisonnement par l’entourage désapprobateur de la reine Christine de Suède, mais d’un mauvais rhume qui a dégénéré en pneumonie.

L’examen d’un exemplaire de L’Ami du peuple maculé de son sang, ainsi que de l’intérieur de sa baignoire, permet aux chercheurs, adeptes de la protéomique, de reconstituer le « dossier médical plutôt chargé » de Marat (chapitre 8). Le verdict : le révolutionnaire était déjà condamné à court terme. Charlotte Corday, en 1793, « n’a fait qu’abréger ses souffrances ».

De plus, les auteurs nous dévoilent, par des « autopsies littéraires » au chapitre quatorzième, que l’étiquette de « grand malade » s’accole à bien des écrivains : des hallucinations hypnagogiques (des « rêves éveillés ») permettent à Mary Shelley, isolée à l’été 1816 dans un chalet suisse, de pondre d’une traite son Frankenstein; Kafka « optimise » son inspiration en se privant de sommeil (augmentant ainsi gravement les risques cardio-vasculaires); Jules Verne, qui nous fit voyager autour du monde par ses récits, n’a guère bougé de son fauteuil au cours des trente dernières années de sa vie, menant une vie dangereusement belle au point de vue alimentaire; les automatismes verbaux et physiques, les tics vocaux et phoniques d’un des personnages d’En attendant Godot de Samuel Beckett, sont en fait « une présentation clinique exacte du syndrome de La Tourette ».

Et, enfin (Chapitre 7 : « Du cœur à l’ouvrage »), des traces de protéines permettent de confirmer que deux tableaux conservés dans des musées nationaux français (Paysage au moulin d’Alexandre Pau de Saint-Martin et Intérieur d’une cuisine par Martin Drölling) ont bel et bien été peints, en partie, avec des pigments issus des cœurs momifiés des rois de France Louis XIII et Louis XIV. Les deux artistes avaient acheté les restes exhumés des deux souverains en 1974, pleine période révolutionnaire, d’où ils tirèrent des teintes brunes pour rehausser leurs tableaux à partir des cœurs broyés. Repentants, ils restituèrent les corps en 1817.

N’en doutons pas, bien d’autres minuscules indices vont permettre aux détectives du passé de résoudre d’innombrables autres « dossiers mystères ».

– Christian Vachon (Pantoute), 19 octobre 2023