(Croire) avoir toujours raison n’est pas un art

Christian Vachon - 16 février 2023

 

Croire avoir toujours raison est un vice de notre temps, et l’incertitude une vertu, illustre Gilles Vervisch – un disciple de Platon et Montaigne qui, depuis son agrégation en philosophie, se donne pour mission de rendre celle-ci « accessible et ludique » –  dans un magnifique petit essai de deux cents pages, adapté de son « one-man show philo », Êtes-vous sûr d’avoir raison?, publié l’automne dernier chez Flammarion.

Que nous propose Vervisch ? Ébranler nos certitudes, nous inciter à nous remettre en cause en débattant de thèmes hautement explosifs : le wokisme, le complotisme, le sexisme,…,  en illustrant les idées exposées par des dialogues, des scènes de films, tout en prouvant, malicieusement, que bien des stratagèmes de Schopenhauer peuvent, tout de même, faire triompher nos opinions.

En fait, ce à quoi nous invite Vervisch, c’est à réagir comme ce juré numéro 8, joué par Henry Fonda, du Douze hommes en colère de Sidney Lumet : « Je veux juste qu’on parle ». Croit-il le gamin innocent du meurtre de son père ? Même pas ! « Je ne sais pas ». « Pour décréter qu’une vérité est indiscutable, il vaut mieux en discuter ».  Et ils vont en discuter. Et ce qui sera évident, au début ne le sera plus à la fin (et la vérité nous reste inaccessible :  on ne sait, ni au début, ni à la fin du film, si le gosse à réellement commis le crime).

Alors discutons.

Le mouvement #Me Too va trop loin. Ai-je raison ? Peut-on aller trop loin dans le sens de l’égalité ?

Le wokisme est une maladie, un mal à éradiquer ?  Ai-je raison ?  Les minorités ne revendiquent-elles pas, plutôt, un droit à l’indifférence. Le plus grand triomphe de Tyrion Lannister, dans Game of Thrones, n’est-il pas de nous faire oublier qu’il est un nain ?

Les valeurs sont toutes relatives ?  Ai-je raison ?  Who’s bad ?  Même Hitler est sûr d’avoir raison, de faire le bien. Nous souffrons, en fait, tous d’ethnocentrisme, nous faisons considérer notre culture comme la  référence. Mais faut-il entretenir un relativisme de type « tout le monde a raison, et personne n’a tort »  (au risque de cultiver les guerres), ou croire à des vérités universelles, mais pas absolues (« Je ne suis pas sûr d’avoir raison, mais je pense qu’on peut s’entendre ») ?

Les vaccinés sont tous des moutons, et les experts ont toujours tort. « Si je suis le seul à penser que les chats poussent sur les arbres, est-ce que ça prouve que j’ai raison ? ».  « Penser par soi-même, ça ne veut pas dire penser seul ».

Le complotisme est un scepticisme. Ai-je raison ? « Comment prétendre avoir une perception plus conforme que l’autre ? ». Une éponge est molle pour moi, mais pour une fourmi elle doit être dure comme fer. Alors qui a raison ? Un complotiste, toutefois, doute de tout, sauf de lui-même. « La théorie du complot, c’est de ne pas imaginer que les autres pensent autrement ».

Vervisch, on le constate, se fait avare de réponse claire. « Est-ce que vous avez raison d’être sûr d’avoir raison ? », préfère-t-il nous enseigner.

Et, depuis des millénaires, des grands philosophes nous prêchent que « le doute et le sens de l’humour sont les deux critères essentiels de l’intelligence ».   Un peu des deux, conclut Vervisch, « ça vous sauve, ça vous permet déjà de discuter ».

 

Essais étrangers

Êtes-vous sûr d'avoir raison?

Gilles Vervisch - Flammarion

Une promenade ludique en compagnie de Sartre, Schopenhauer ou Lévi-Strauss autour de la certitude d'avoir raison.

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