Des hommes et des femmes sur Mars?

Christian Vachon - 15 septembre 2020

Des hommes et des femmes sur Mars ?  Défi colossal, impossible.  Et pourtant, cet impossible est aujourd’hui en préparation.

L’astrophysicien français Francis Rocard dans son bref, mais éloquent et remarquable essai documenté Dernières nouvelles de Mars, édité chez Flammarion, fait le point, sans jubilation ni défaitisme, sur les qui, pourquoi, comment et quand de cette ambitieuse exploration de la planète rouge.  Si les possibles s’accumulent, les obstacles demeurent gigantesques.

Qui? Oubliez la Chine, dont l’horizon programmatique ne va pas, pour l’instant, au-delà de la Lune. La Russie, quant à elle, n’est plus, depuis longtemps, dans la course. Seuls la NASA, depuis près de trente ans, et le Congrès américain « ont lancé des études détaillées et complètes de ce que représente le programme de l’homme sur Mars ».

Un partenariat public-privé, avec, par exemple, le bouillant Elon Musk (qui se donne 150 ans (sic) pour construire sa base martienne), ou un avide Jeff Bezos, peut être envisageable, mais la NASA reste « concrètement maîtresse des choix décisifs ».

Pourquoi ? Ça exige des sous, des centaines de milliards de dollars cette exploration ; ça commande un solide argumentaire pour justifier ces dépenses. On doit y aller afin d’assurer la survie de l’humanité en rendant Mars habitable ?  « Très certainement irréalisable » rétorque Rocard. En fait, la motivation durable est de savoir jusqu’où  l’homme pourra aller dans le cosmos, le concept de la « nouvelle frontière », cher à l’imaginaire américain, ranimé par les séries Star Trek. Et « programme habité » et «exploration spatiale » demeurent indissociables chez les décideurs américains.

Et il y a cette planète rouge, « l’endroit de l’Univers le plus facilement accessible mécaniquement », particulièrement prometteuse, mystérieuse.  Il y a eu de l’eau sur Mars.  Où est-elle passée ?   Il y a peut-être même du carbone non oxydé.  « Follow the Water, follow the Carbon & follow the Life ».

Le robot Curiosity prend un égoportrait sur Mars. © NASA/JPL-Caltech/MSSS

MSR :  Mars Sample Return, une mission « décisive »  sur cette question de l’émergence du vivant sur cette planète, a débuté dès cet été 2020.

Elle va s’étendre jusqu’en 2030, et se conclure par le retour d’échantillons afin d’y trouver trace d’une biosignature.   Elle comprend une succession d’étapes complexes et critiques (collecte, transfert des échantillons dans un récupérateur, envoi et capture de celui-ci par un orbiteur,…).  Que l’une seule de ces étapes échoue, et les dix milliards de dollars de cette mission auront été dépensé en vain.

C’est déjà pas si simple un aller-retour, à l’aide de robots, vers Mars, alors imaginez comment ce peut l’être pour l’homme.

Comment ? Le voyage est trente à soixante plus long que pour la Lune (une croisière minimale de deux cents jours) et nécessite pour le transport de l’équipage (quatre à six personnes) un véhicule MTV (Mars Transfert Vehicle) d’une masse de 300 tonnes, impossible à lancer d’une seule fois de la Terre (il faut prévoir trois à cinq lancements pour l’assemblage en orbite). Et il ne s’agit pas des principaux défis.  Et ils sont nombreux et de grande ampleur (le genre de tracas dont les héros de Star Wars, sautant d’une planète à l’autre en toute facilité, ne semblent jamais affronter). Rocard nous les listent par ordre décroissant. D’abord, l’atterrissage, ces « sept minutes de terreur » (contrairement à la Lune, les astronautes vont être confronté à un atmosphère nécessitant un freinage extrêmement rapide), puis des radiations, préoccupantes.  Il y a aussi l’épreuve morale, être capable de vivre en harmonie, pendant des mois et des mois, avec ses coéquipiers et coéquipières.

Et il faut boire et respirer, et trouver ses ressources sur place, car amener avec soi eau et oxygène en quantité suffisante (dix tonnes !), c’est matériellement hors de question. Ces multiples défis technologiques (pas de solutions en vue, ne serait-ce que pour l’atterrissage, avant 2045, précise Rocard) et psychologiques mènent à un quand encore lointain, lointain…

Quand? Il faut donc procéder par étapes, miser sur les possibles. Rocard détaille les phases stratégiques, permettant de valider en vol les technologies pour l’objectif ultimes, et les missions martiennes préalables, à fort impact symbolique :  survol, séjour dans une petite station en orbite, … La NASA, d’ailleurs, a déjà fixé une première étape :  la construction d’une plateforme en orbite lunaire (Lunar Orbital Platform Gateway) d’où pourront, éventuellement, partir les missions habitées vers Mars.  Le projet, toutefois, a été radicalement bouleversé, pour le pire, par la volonté impatiente du président Trump de voir un retour des Américains sur la Lune en 2024 (calendrier impossible à tenir selon Rocard).

Mais l’ultime obstacle, bien sûr, à ces vols habités sur Mars demeurent leurs coûts faramineux : plus de 300 milliards de dollars pour la totalité du programme.  La solution se retrouve, encore une fois, par un financement stratégique, en étapes. Francis Rocard envisage une première mission pour Mars au plus tôt dans les années 2030, mais l’intégralité du programme (mission de survol, séjour à la surface,…) s’étalera au-delà du milieu du siècle, en tenant compte des retards, des fenêtres de lancement très réduites (tous les vingt-cinq, vingt-six mois) pour fins d’économie d’énergie, « s’il n’est pas remis en question, c’est toujours possible, mais finalement peu probable ».

« Si on abandonne la vision de l’homme sur Mars, c’est l’ensemble du programme habité américain qui s’effondre », ensevelissant, sous les décombres, le prestige américain.

Sciences

Dernières nouvelles de Mars

Francis Rocard - Flammarion

Grâce aux sondes automatiques, on sait que de l’eau a coulé à la surface de Mars, que cette dernière est émaillée de volcans géants et qu’elle a jadis subi un terrible changement climatique. Mais pourquoi n’a-t-elle pas évolué comme la Terre ? Aurait-elle abrité la vie ? Mystère…

Pour répondre à ces questions et à bien d’autres encore, l’objectif scientifique est aujourd’hui de rapporter des échantillons de la planète rouge. Mais un autre programme d’une tout autre nature se dessine, sous la pression inédite d’acteurs privés : y envoyer un jour des hommes.

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