Sur la route du vin québécois

Christian Vachon - 12 septembre 2020

Un jour d’été 1974, le Québec accueille un illuminé, un « maudit Français », sans diplôme universitaire, mais obstiné.  Jamais il ne regrettera de lui avoir ouvert ses portes.

En quelques décennies, l’extravagant immigré Christian Barthomeuf revigore l’industrie vinicole au Québec, invente le cidre de glace, et révolutionne , par la pratique de la « culture fondamentale », l’agriculture biologique.

Le sympathique autodidacte nous retrace, ce printemps 2020, avec franchise et générosité, son époustouflant parcours, « guidé par les interventions » de la nutritionniste Julie Aubé,  et accompagné de radieuses photos de Virginie Gosselin, dans Autoportrait d’un paysan rebelle : une histoire de pommes, de vin et de crottin (publié aux éditions du passage), un récit plein de gaieté, d’humour, qui nous enseigne que rien n’est impossible à qui sait bien observer la nature.

« C’est drôle comme ça vous vient une invention… au moment où on s’y attend le moins » – Alphonse Allais

Fils d’Auvergnant (il est né à Clermont-Ferrand, en 1950, au pied du plateau de Gergovie), Christian Barthomeuf retient de sa jeunesse le mot détermination.    Propriétaire, depuis 1977,  d’ une vieille ferme, à Frelighsburg, il s’improvise vigneron lorsqu’il entend, en 1979, un Ardéchois d’origine lui dire :  « Maudit que tu as de beaux coteaux pour faire pousser de la vigne ».  Il va tout apprendre sur la culture de la vigne à travers des ouvrages de viticulture professionnelle, « avec des photos couleur précieuses », qu’il fait venir «à grands frais ».

Pour que le prix de ses vins demeurent compétitifs sur le marché internationale, et parce que, « avec notre climat idéal », l’Italie, l’Espagne et le Portugal ne peuvent « venir jouer dans sa cour », il se lance, au milieu des années 80, dans l’élaboration d’un vin de glace.

Après sa première vendange, en décembre 1989, de « vidal gelé », Barthomeuf à une inspiration soudaine :  « Pourquoi n’essaierais-je pas de presser des pommes gelées ? ».

Il achète, alors, quelques caisses de pommes à son voisin, les met à geler trois semaines sur sa galerie.  Il tire une dizaine de litres de sucre de son gros tas de pommes, suffisant pour une fermentation.

Il la fait déguster.  « Tout le monde trouve le produit extraordinairement intéressant ».   Le cidre de glace –qui portera le nom de « vin de glace de pommes » pendant quelques années, le mot « cidre » conservant, triste souvenir des cidres « industriels » des années 70, une épithète péjorative- est né.

Barthomeuf n’a pas le sentiment d’avoir inventé quoi que ce soit.  Il a « tout simplement mis des pommes à geler, puis les a pressé, puis a conduit la fermentation, exactement comme il l’a fait, deux mois plus tôt, avec le vin de glace ».

Sa « création » va tout de même lui mener à rencontrer,  vingt ans plus tard, lors d’un dîner officiel, à Ottawa, à son hommage, le prince Charles, « pionnier de la culture biologique », un brave type, « au sourire sincère ».

« Si tu veux être heureux une heure, bois un verre ;  si tu veux être heureux toute ta vie, fais-toi jardinier »  – Proverbe chinois

Christian Barthomeuf, et sa camarade de vie Louise Dupuis, se bâtissant, en 2002, une nouvelle maison, à Frelighsburg, découvrent un verger abandonné (avec de vieux bâtiments), victime de coupes sauvages, et inorganisées, éradiquant chênes et noyers.  Le couple se donnent pour défi de rétablir son équilibre naturel, sans apport extérieur.  « Si la nature le fait, nous y arriverons ».

Ils y parviennent, grâce à la « culture fondamentale ».  « Chez nous, il n’y a ni labours, ni mauvaises herbes, ni insectes indésirables.  Seulement une riche biodiversité que nous entretenons d’années en années ».

La « culture fondamentale », c’est de vieux pommiers qui se remettent de leurs « sevrages d’engrais et intrants » en fouillant, avec leurs racines, plus profondément dans le sol « remis à neuf »  pour trouver « ce qu’ils n’auraient pas trouvé avant » ;  c’est de multiples points d’eau dans les aires de culture et autour de celles-ci ;  c’est, surtout, de la « crotte fraiche », venant des chevaux (Maggie, Muscat,,,,) servant au sarclage « sans pétrole »,  et des brigades de poules (le terrain est clôturé, les protégeant des prédateurs), travaillant sous les arbres fruitiers, grattant, fertilisant le sol.

En 2010, au verger du domaine Clos Saragnat, un premier cidre de glace certifié biologique est produit.

Christian Barthomeuf et Louise Dupuis ont contribué à ce que la Terre reste une oasis de vie.  Pour y parvenir, ils ont veillé à ce que l’entreprise reste à l’échelle familiale.  Ils ont su être patient («Ça ne se rétablit pas en cliquant des doigts, un équilibre naturel »), se serrer la ceinture.

La nature se porte mieux, grâce à eux, et quelle joie de la revoir belle et plaisante à l’œil !   Les photos de Virginie Gosselin nous font profiter du spectacle, avec cette végétation luxuriante, ces fleurs sauvages éclatantes, poussant autour des pommiers ;  un spectacle égayé par ses poules charmantes, en liberté, toutes à leur boulot ; le spectacle d’une biodiversité réjouissante bien éloignée d’une « nature morte » d’une monoculture, ou d’un terrain de golf.

Beaux livres

Autoportrait d'un paysan rebelle

Christian Barthomeuf, avec Julie Aubé & Virginie Gosselin - Les éditions du passage

Christian Barthomeuf est l'un des pionniers de l'agriculture biologique et régénératrice au Québec. Autodidacte et rebelle dans l'âme, ce paysan hors normes revient dans ce livre sur son parcours de vie, de son enfance dans le Cantal à son arrivée au Québec dans les années 70, en passant par la création du cidre de glace et du domaine Clos Saragnat. Avec générosité et sans langue de bois, Christian Barthomeuf nous livre ses réflexions et coups de gueule sur la production du vin et du cidre, l'agriculture, les dérives de l'industrie agroalimentaire et l'importance de la biodiversité agricole. Son récit est guidé par les interventions de la nutritionniste et conférencière Julie Aubé, et ponctué des superbes photographies de Virginie Gosselin.

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