Édith, prisonnière du désert

Christian Vachon - 13 avril 2021

Il est très radieux ce Sablier : otage au Sahara pendant 450 jours d’Édith Blais, la publication fort recherchée de l’hiver 2021 des éditions de l’Homme ; radieux, car le récit est admirablement bien écrit ; radieux, car la haine est absente des propos ; radieux, car Édith nous offre des clés pour surmonter les épreuves de la vie.

À la fin de l’année 2018, Édith, et son compagnon italien Luca, partent vers le Togo, traversant le nord de l’Afrique en voiture, pour y aider un ami dans son travail de reforestation.

Au Burkina Faso, ils commettent « une grosse, grosse erreur », ne s’informant pas de l’état des frontières, choisissant une mauvaise voie qui les mène « directement vers la grande mésaventure ».   C’est l’embuscade.  Six hommes, armés de kalashnikovs, des Peuls, les attendent (le chef :  « on nous avait averti qu’il y aurait un Italien et une Canadienne dans une voiture bleue.  Vous en avez mis du temps ».).  « Cette vision occupait tout l’espace ».

L’épreuve débute,  Elle va durer 450 jours.  Les Peuls transportent leurs otages au nord, vers le Mali, les cédant, ensuite, aux Touaregs djihadistes du GSIM (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans).  Édith, prisonnière du désert, est constamment déplacée, de campements en campements.  D’abord avec Luca, puis séparée de lui, partant rejoindre un groupe de trois femmes, captives comme elle.  Finalement, après plus de 240 jours de captivité, on décide de l’isoler.

Elle affronte cette solitude, la vue embrouillée, ne pouvant plus faire usage, les yeux pleins de sable, de ses lentilles cornéennes, camouflée, avec son foulard vert et ses vêtements, comme une plante, dans la nature.

Elle, qui n’a « jamais détesté personne dans la vie », ne peut haïr ses geôliers, qu’elle surnomme, selon leurs comportements, Papadou ou Casse-Couilles :  « j’avais à peine le courage de survivre au jour le jour, alors je n’aurait fait qu’aggraver mon sort en maudissant ces hommes », des hommes privés d’éducation, ne connaissant rien de mieux que l’Islam.

La violence physique est absente.   Seule persiste, à peine moins grave, la violence mentale de l’isolement, « ne savoir plus à quoi penser, ni comment m’occuper l’esprit (…).  Je n’avais rien à dire, ma vie ne m’appartenait plus (…).  J’étais leur otage, à la fois trésor et moins que rien ».   La voie menant à folie s’ouvre.

Elle va y parer, tentant de regagner des « parcelles de vie ».  D’abord par l’écriture de poèmes (l’une des otages féminins lui a offert un cahier et un stylo, « des objets qui, à mes yeux, venaient tout droit du paradis »), reproduits dans le volume, puis en pratiquant le yoga.

Elle ose se rebeller, également, façonnant une sculpture, au visage d’homme amérindien, qui trouble les moudjahidines (elle lit « la peur » dans leurs yeux), puis débute une grève de la faim.

Estimant leur chance de réussite à une sur dix, ils partent, pourtant, une nuit de pleine lune, marchant pendant des heures.

L’insoumission porte fruits.  Elle parvient à obtenir un vidéo de son ami Luca.  Elle découvre, alors, sa conversion à l’Islam.  Elle croit deviner pourquoi.  Ne s’agit-il pas d’un moyen pour qu’ils puissent être réunis à nouveau ?

Elle va donc devenir musulmane, faire sa profession de foi (« Je ne regrette pas mon choix.  Je devais survivre et cette conversion était un moindre mal (…). Aujourd’hui, je n’ai rien gardé de cette religion »).

La décision était la bonne.  Elle peut retrouver son ami, lui devenu Suleyman, elle Asiya,  Ils se redécouvrent, chacun ayant le souci de ne pas entraîner l’autre « dans de sombres pensées ».

Au milieu du désert, de cette « immense étendue aride servant de cage », ils songent, pourtant, à s’échapper.  Luca a cru voir passer, au loin, à l’ouest, « où doit se trouver une grande route », un camion de marchandises.

Estimant leur chance de réussite à une sur dix, ils partent, pourtant, une nuit de pleine lune, marchant pendant des heures.

Au matin, à travers le désert blanc, Luca aperçoit un signe :  «Regarde, Édith : une voiture est passée par ici ! ».

Ils entendent, finalement, des bruits de moteur.  Un chauffeur s’arrête, un « ange gardien », qui va les éviter une nouvelle capture par les moudjahidines.

« Étions-nous vraiment libres ?  C’était irréel (…). Toi la vie, tu nous offre tant de beauté, et de possibilité, c’est nous qui n’en faisons pas toujours bon usage (…).  Tu as brouillé nos pistes avec ton vent puissant et tu nous as envoyé un ange gardien (…).  Les hommes peuvent être cruels… et aussi bons ».

Radieuse Édith, donc, qui nous enseigne que, peu importe les épreuves, on peut tout surmonter, si on sait se compromettre, et croire au lendemain.

Biographie & Faits Vécus

Le sablier

Edith Blais - Éditions de l'Homme

Un récit qui nous transporte dans un univers brutal et méconnu. En janvier 2019, les familles d'Edith Blais et de l'Italien Luca Tacchetto lancent un appel à l'aide: les deux voyageurs ont disparu quelque part en Afrique sans laisser de traces. Entre la nouvelle de leur disparition et celle de leur libération, 15 mois s'écouleront pendant lesquels personne ne sait ce qu'il est advenu d'eux. Avec Le sablier, Edith lève le voile sur son histoire et répond aux questions que tous se posent.

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