Il y a déjà près de cinquante ans que Tintin ne vit plus de nouvelles aventures et pourtant, il passionne toujours autant. Plus de 500 titres ont été publiés sur ce héros de la bande dessinée et son créateur Hergé, les scrutant à la loupe, tentant de trouver réponse à ces éternelles interrogations : dans quel quartier de Bruxelles (la rue du Labrador étant introuvable) habite le jeune reporter ? Quelle contrée des Balkans (l’Albanie ? la Roumanie ?) sert de modèle à la Syldavie ? Quelle est la signification de Karaboudjan, sachant que seule la terminaison du mot est arménienne ?
Bien de ces ouvrages, toutefois, sont truffés d’erreurs ou répètent trop souvent les mêmes bêtises. Patrice Guérin, jeune spécialiste d’Hergé (il n’était même pas né lors de la parution de Tintin et les Picaros, le dernier album complet), las de ce « tout et n’importe quoi qu’on raconte » (le véritable nom d’Hergé, Georges Remi, entre autres, est souvent mal orthographié), entreprend une fructueuse moisson de ce champ de sottises dans Tintin au-delà des idées reçues : 22 contre-vérités sur Hergé et son œuvre, paru aux Impressions nouvelles au début du printemps 2024.
La Castafiore chante mal ? Faux, elle est plutôt « mal entendue », jugée, plus souvent qu’autrement, par des « Philistins ». L’adresse 26 de la rue Terre-Neuve, où a vécu la grand-mère d’Hergé, à Bruxelles, a inspiré celle de Tintin ? Faux, elle n’y a jamais habité.
Hergé est le petit-fils d’un aristocrate, peut-être le roi des Belges ? Très douteux : l’identité de son aïeul demeure à jamais méconnue. Georges Remi fut un mauvais élève en dessin ? Autre bêtise : Hergé par (fausse) modestie a lui-même répandu cette (fausse) vérité. En réalité, ses résultats en dessin étaient tout à fait honorables.
Il était réticent à rééditer Tintin au pays des Soviets ? Bien au contraire ! Dès le début des années 50, il était désireux de se lancer dans une refonte complète de son premier album. C’est son éditeur, Casterman, qui s’y opposait.
Hergé allait souvent au cinéma et admirait Hitchcock ? Une autre des multiples contre-vérités diffusées, en 2019, par Bob Garcia dans son Tintin : du cinéma à la BD. L’emploi du temps trop chargé d’Hergé, dès le milieu des années trente, l’empêchait de courir les salles de cinéma. « J’ai très peu fréquenté Hitchcock, » confessa-t-il lui-même.
Les albums de Tintin ont immédiatement eu du succès ? C’est loin d’être le cas : les ventes, à la fin des années trente, sans être médiocres, ne sont pas extraordinaires et le succès demeure un « phénomène belge catholique ». « Tout va changer avec la guerre » et dans l’immédiate après-guerre. En 1946, on atteint le million d’exemplaires de vente.
Patrice Guérin, fort bien documenté, réfute bien de ces bêtises tentant de ternir la réputation d’Hergé. Il a été « très copain » avec le leader d’extrême-droite belge Léon Degrelle ? Faux. Son « scénariste » Jacques van Melkebeke était pro-nazi ? Faux. Les premières insultes du capitaine Haddock provenaient des pamphlets antisémites de Céline ? Une « coïncidence » plutôt qu’une « influence ». C’est grâce à l’officier résistant Raymond Leblanc (son « sauveur ») qu’Hergé a pu retravailler à la Libération ? Il a su se disculper « sans intervention extérieure ».
L’hergéologue Guérin, surtout, démolit cette grave accusation, lancée en 1996 par Pierre Assouline dans sa biographie d’Hergé, d’un père de Tintin n’aimant pas les enfants. « Il n’existe aucun document officiel, aucune lettre dans les archives d’Hergé évoquant l’adoption puis le renvoi d’un enfant à la fin des années 40 ». Bien que les enfants le « rendaient maladroit », il aurait été heureux d’en avoir.
Enfin, sachez que la momie inca ayant inspiré le cauchemardesque Rascar Capac des 7 boules de cristal n’est pas exposée dans un musée bruxellois, ni parisien, mais est basée, essentiellement, sur une illustration tirée du Larousse du XXe siècle, en six volumes, de 1928-1933; que le télégramme enthousiaste de Salvador Dali exhibé au Musée d’Hergé et que des milliers de visiteurs ont également pu apprécier à l’exposition Tintin du Musée de la Civilisation, en 2019, envoyé à Hergé pour les 50 ans de Tintin, n’est qu’une blague de Stéphane Steeman; et que le slogan se « lisant de 7 à 77 ans », trop souvent associé aux bandes dessinées, a été inventé par l’équipe du Lombard (« Tintin est le journal des jeunes de 7 à 77 ans ») pour l’hebdomadaire uniquement. Jamais l’éditeur des albums, Casterman, n’a fait usage de la formule.
D’ailleurs, bien des lecteurs du Lotus bleu ou de L’affaire Tournesol ne tiennent plus compte de cette limite d’âge.
– Christian Vachon (Pantoute), 19 mai 2024
Tintin au-delà des idées reçues
Plus de quarante ans après le décès d'Hergé, plusieurs ouvrages autour de la série Les aventures de Tintin sont encore publiés, faisant l'objet de nombreuses idées reçues. L'auteur analyse 22 contre-vérités extraites de documents écrits, audiovisuels et sonores consacrés au héros de la bande dessinée, afin de rétablir la vérité grâce à des faits réels.
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