Comment ne pas devenir jaloux du jeune François Rivière, futur romancier et journaliste littéraire, devenant l’ami des dieux de notre enfance (Hergé, Edgar P. Jacobs et Jacques Martin) au début des années soixante-dix. Dans ses Confessions d’un amateur de bande dessinée belge, publié aux Impressions nouvelles, il nous conte son parcours amoureux, de l’enfance au début de sa vie adulte, qui va le mener à pénétrer dans l’intimité des créateurs de Tintin, Blake et Mortimer, Alix, Chlorophylle et autres. Cette BD est une célébration brève, mais bienvenue de nos liens magiques avec nos héros de papier.
La découverte à neuf ans du premier tome du « Mystère de la Grande pyramide » de Jacobs va bouleverser, à la fin des années cinquante, la vie du pas très bon élève français François Rivière, enclin à la rêverie, succombant dès lors comme bien des Québécois·es de l’époque, aux sortilèges de la bande dessinée belge. Comme tout le monde, il est irrésistiblement attiré par les dimensions graphiques, mais aussi littéraires de ces ouvrages.
Si l’Alix de Jacques Martin l’ensorcelle, l’atmosphère des deux premiers albums de Tintin qu’il parcourt (« Les Sept boules de cristal » et « Le Temple du Soleil ») l’inquiète plus qu’elle ne l’amuse. Ce n’est qu’au milieu de l’adolescence, avec « Les Bijoux de la Castafiore », « un suspense orchestré de façon magistrale », qu’il va s’enthousiasmer d’Hergé. S’il tarde à goûter au « graphisme éblouissant » de Franquin, il est capturé très tôt par le contenu ravageur, où le fond triomphe de la forme (le texte n’hésitant pas « à faire voyou »), des livres de Maurice Tillieux.
Il est également aguiché par les deux rongeurs délurés, baptisés Chlorophylle et Minimum, du trop négligé Raymond Macherot qui mêle subtilement à ses récits humour et critique sociale plutôt affutée : « Les méchants sont bien stupides et les personnages qui se disent importants sont presque toujours ridicules. »

Ce jeune villageois de la Charente-Maritime demeure surtout profondément admiratif de l’œuvre de Jacobs. Son adoration ne se termine pas à la sortie de l’adolescence. Il ose même prendre la plume pour exprimer son enthousiasme au créateur d’Olrik.
Travaillant à Paris, participant au fanzine de Jacques Glénat Schtroumpf (qui va devenir les réputés Cahiers de la bande dessinée), il souhaite s’approcher de Bruxelles, car comme l’a affirmé Hergé : « C’est assez curieux, mais la bande dessinée a mis plus de temps à prendre en France qu’en Belgique. »
Il parvient enfin, au début des années soixante-dix, à obtenir ses rendez-vous bruxellois, rencontrant « l’intarissable et fougueux » Jacques Martin, s’entretenant avec Macherot, qui cache « derrière des dialogues désinvoltes une philosophie teintée de l’amertume du libertaire » (son Chaminou et le Khrompire est « le sommet de son oeuvre »), visitant à sa résidence, perdue au milieu de nulle part dans le Brabant wallon, le débonnaire Jacobs travaillant à son « Satô » (son « S.O.S. météores », « cette irruption du fantastique dans la réalité du quotidien », est « son absolu chef d’œuvre »).
À l’issue des années septante, Bruxelles finit par l’adopter. Il enregistre des interviews pour les Cahiers de la bande dessinée, entre fraternellement au sein du club très privé d’Hergé : « J’ai l’impression de planer dans la stratosphère avec lui. »
Il rend hommage à tous ces dieux qui ont enjoué son enfance en scénarisant l’album de bande dessinée de Floc’h, Les rendez-vous de Sevenoaks, mixture de meurtre et de littérature, de mystère et d’aventure.
Au cours des décennies suivantes, les magiciens Hergé, Jacobs, Martin et Macherot vont partir regagner le monde des rêves. François Rivière, toutefois, ne s’évadera pas complètement de leurs oeuvres et ne se résoudra jamais à se prendre trop au sérieux.
– Christian Vachon (Pantoute), 20 avril 2025
Confessions d'un amateur de bande dessinée belge
« Pour le Noël de mes neuf ans, j'obtins de ma grand-mère qu'elle m'offre le premier épisode du Mystère de la Grande Pyramide d'Edgar P. Jacobs. Je succombai immédiatement aux bienfaisants sortilèges de ce que je considère comme l'âge d'or de la bande dessinée belge. S'ensuivit la découverte d'autres dessinateurs comme Jacques Martin, l'auteur d'Alix, ou Raymond Macherot dont la série animalière qui m'enchantait fut comme un viatique à un moment difficile de ma jeune existence.. Les années passant, j'eus l'envie très naturelle d'entrer en relation avec les dieux de mon Olympe. Aussi pris-je un jour le train pour Bruxelles. Dès lors, comme je me plais à le raconter dans ces pages, rien ne me retint de conclure une alliance quasi filiale avec les célébrants d'un culte magique dont le grand prêtre se nommait Hergé. À partir de 1970, j'ai pu ainsi me sentir accueilli presque avec effusion dans l'intimité de Jacobs au Bois des Pauvres, établir une vraie complicité avec Jacques Martin, personnage très attachant, et être admis dans le cercle très privé du créateur de Tintin. » F.R.
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