Il y a 150 ans, Paris brûlait

Christian Vachon - 3 juin 2021

« Si M. Thiers est chimiste, il nous comprendra.  Que l’armée de Versailles sache bien que Paris est décidée à tout plutôt que de se rendre ».

– Jules Vallès dans Le cri du peuple (1871)

 

L’année 2021 est l’occasion de commémorer les 150 ans de la Commune de Paris, une « grande occasion manquée », l’illustration malheureuse de cette « impossibilité, en France, de franchir un pas vers la démocratie sans en passer par le bain de sang ». Un jeune Georges Clémenceau ne déclarait-il pas, au début de mars 1871 :  « Nous sommes pris entre deux bandes de fous, ceux qui siègent à Versailles, ceux qui sont à l’Hôtel de Ville (de Paris) ». Ça va mal, à la fin mai 1871, pour cette Commune qui tente, depuis plus de deux mois, de s’affranchir de la France rurale et conservatrice. Les fortes avancées parisiennes sont tombées aux mains des Versaillais.  « Les Loups sont entrés dans Paris ». C’est le début de la Semaine sanglante. C’est, aussi, le début d’un gigantesque incendie.

L’éditeur d’art, documentariste et écrivain Nicolas Chaudun nous rappelle dans Le Brasier —  Le Louvre incendié par la Commune, une édition, en format poche, dans la collection « Babel », de l’ouvrage, publié en 2015, chez Actes Sud (élu « meilleur livre d’histoire » par le magazine Lire), ces épisodes, dits secondaires, de ces journées meurtrières : la destruction des Tuileries (le palais, fermant à l’ouest, la cour carrée du Louvres), les milliers de trésors de bibliophiles, de la Bibliothèque impériale, livrés aux flammes, la course contre la montre pour sauver « le plus beau musée du monde ».

Plus qu’une enquête détaillée, basée sur des faits authentiques, avérés, c’est un récit palpitant, du grand roman vrai, que nous livre Nicolas Chaudun ; le combat, heure par heure, de deux héros oubliés : le conservateur Henri Barbet de Jouy et l’officier Martin de Bernardy de Sigoyer, afin de sauver, en déjouant la tuerie, et l’imbécilité des « enragés des deux bords », la richesse artistique de leur pays.

« Le feu ! Le feu ! Le feu partout ! » comme réponse à la prise de Montmartre par les Versaillais.  Le général communard Jules Bergeret, installé aux Tuileries, résolu à ne point combattre « au-dedans comme au dehors », attend, le jour du 23 mai, cet ordre dévastateur du Comité du salut public.  Vers dix heures du soir, il brûle, soudain, « d’une fièvre de maître artificier », et ordonne à son chef d’état-major Bérot :  « Toi, colonel, tu vas préparer l’incendie de la cambuse ».

Le palais des Tuileries a été miné avec beaucoup de soin, des barils de poudre à canon déposés ici et là, des torrents de pétrole, des kilos de goudron liquide hautement inflammables, répandus partout.  Le palais des rois brûle.  « L’oiseau ne reviendra plus au nid ». Bergeret, satisfait, envoie ce message au Comité de salut public :  « Les derniers vestiges de la royauté viennent de disparaître.  Je désire qu’il en soit de même de tous les monuments de Paris ».

Le feu, un feu sans objectif tactique, qui ne retarde rien, ni personne, est « inscrit depuis toujours » au programme de cette révolution communarde obsédée par les symboles, une révolution qui en est venue à voir en l’amoureux de l’art et de l’architecture un ennemi de classe. Le Ministère de la Marine est, lui-aussi, incendié. L’Hôtel-de-Ville, avec ses irremplaçables registres civils, le sera les jours suivants. Notre-Dame-de-Paris et l’Hôtel-Dieu ne devaient pas non plus être épargnés.

Aux Tuileries, le brasier s’étend, ravage maintenant l’Aile de Flore. Henri Barbet de Jouy, conservateur du Musée, « bonapartiste notoire », limogé, le 16 mai, par Courbet, sous le coup d’un mandat d’arrêt, mais demeuré à son poste, monte sur un toit, prend la mesure du sinistre. Le musée tout entier, découvre-t-il, peut brûler. Les « bras du Louvre » aspirent le feu comme des pompes. Le vide de la Grande galerie happe le brasier, l’attire irrésistiblement vers les salles de l’École française du XVIIIe siècle, celles du génie des premières décennies du XIXe siècle, « comme dans une espèce de conduit de cheminée horizontal ».

Et les pompiers n’interviennent pas, peu enclins à lutter contre un incendie que leurs camarades mêmes ont allumés. Ce sont des soldats qui vont s’entremettre.

Le marquis de Sigoyer, commandant des chasseurs du 26e bataillon, stationnés aux abords du palais, constatant l’étendue du désastre, ordonne, vers six heures du matin, à ses troupes de se porter en avant (l’incendie ayant repoussé les communards au-delà de la cour carrée).

 

File:Commune de Paris 24 mai incendie des Tuileries.jpg - Wikimedia Commons
Lithographie de Léon Sabatier et Albert Adam pour Paris et ses ruines publié en 1873 | Bibliothèque historique de la ville de Paris

Barbet, Sigoyer, et les autres sauveteurs s’entendent : il faut crever les toitures, redresser l’effet de cheminée, le « verticaliser », de sorte que la fournaise se perde droit dans les rues, et cesse de ramper vers le musée.  La progression de l’incendie ralentit, puis s’arrête.  Le Musée est sauvé.  On ne peut rien pour les Tuileries. Les vestiges seront rasés, le palais jamais reconstruit.

Auparavant, vers quatre heures du matin, dans l’autre aile du Louvre, une demi-douzaine de communards s’engouffraient dans une immense bibliothèque qui avait le malheur de s’appeler impériale, l’aspergeaient de pétrole, y grattaient une allumette.  Une heure plus tard, près de cent mille bouquins n’étaient plus que cendres. Bergeret, l’incendiaire, se volatilise, parvient à quitter la France.  Il meurt à Manhattan, s’attribuant le mérite d’avoir sauvegardé le palais du Louvre.

Henri Barbet de Jouy retourne à son métier d’homme d’inventaires, féru de muséographie. Le marquis de Sigoyer va être retrouvé, mort au combat, le 26 mai 1871.  « Accomplissant le bien nécessaire, il ne luttait pas contre le mal absolu ».

Histoire

Le Brasier

Nicolas Chaudun - Babel / Actes Sud

Au cours des derniers jours de mai 1871, le gouvernement d'Adolphe Thiers se résout à réprimer avec violence la Commune de Paris. La Semaine sanglante s'accompagne d'un gigantesque incendie qui menace le Louvre et ses collections. Les incendiaires s'en prennent également à la Bibliothèque impériale, au coeur même du palais, livrant aux flammes son fonds de cent mille volumes précieux...

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