La Révolution tranquille ingénieusement bien narrée

Christian Vachon - 27 mai 2021

Enfin une brillante synthèse sur cette période cruciale de notre histoire, ce temps nouveau, ce temps d’idées grandioses, ce temps où l’État assure l’épanouissement du Québec. Dans Brève histoire de la Révolution tranquille, aux éditions Boréal (inaugurant, avec trois autres titres, sur l’Église catholique au Québec et sur le régime seigneurial, cette nouvelle collection « Brève histoire de… »), deux réputés historiens, Martin Pâquet et Stéphane Savard, cernent admirablement bien ce moment où, au début des années soixante, il existe un consensus social autour de l’État, « vecteur de  mobilisation collective », un État qui, pendant deux décennies, incite à la créativité : nationalisation de l’électricité, commission Parent, Convention de la Baie James et du Nord québécois,…

Les auteurs prennent bien soin de dire que cette Révolution tranquille n’est pas née spontanément.  Un besoin de changement couve , au Québec, depuis les années trente.  Des intellectuels, conscients que la province a un important retard, tant politique qu’économique, tant culturel que social, à rattraper par rapport aux autres sociétés modernes, plaident pour un « aggiornamento » (une adaptation à l’évolution du monde actuel » national.

Et ce d’autant plus que le Québec ne vit pas en vase clos.  «Il y a convergence entre les phénomènes caractéristiques de la Révolution tranquille (développement de l’État-providence, transformation socio-économique, mutation culturelle, projet d’émancipation) et ceux que connaissent les autres sociétés occidentales, avec toutefois des variations temporelles propres au Québec ».

Il faut la « mort de quelqu’un » (dixit André Langevin), en septembre 1959, la fin du gouvernement « personnalisée » de Duplessis, pour mettre un terme au temps cyclique, sécurisant mais dépassé, au Québec, le remplacer par un temps linéaire, orienté vers le progrès.  Une révolution ?  Non, « une reconfiguration s’ordonnant désormais autour d’une représentation valorisée et hégémonique » :  l’État québécois, et non le «Cheuf », garant du bien commun.

L’impulsion réformatrice, dans la première moitié des années 60, se déploie « en grande partie du haut vers le bas, c’est-à-dire des élites définitrices (la nouvelle classe moyenne francophone, les technocrates, les intellectuels universitaires) vers le citoyen dont la majorité doit embrasser les changements proposés ».

L’État gonfle, gonfle, un État planificateur, modernisateur, favorisant l’égalité des droits, et en quête de reconnaissance sur la scène internationale.

Le Québec se sécularise aussi, mettant fin à «l’Église-nation », autrefois ordonnatrice du bien commun (l’État assurant maintenant la gouverne des institutions hospitalières et éducatives). Les élites définitrices ne se retrouvent plus guère parmi les clercs.

Les plans d’ingénierie sociale de ces élites vont toutefois être bousculés, dès la seconde partie des années 60, par un mouvement venant, désormais, du bas vers le haut, « des membres de la société civile vers les responsables étatiques ».  Le Québec, tout comme, d’ailleurs, le reste de l’Occident, vit « une révolution culturelle d’importance ». C’est le temps de la « prise de parole », de la « mobilisation civique », du « choc des valeurs ».

L’écosystème politique, « fondé auparavant sur le consensus informel », s’élargit, se concentre désormais sur le débat public.  De nouveaux enjeux s’introduisent, allant grandissant jusqu’à nos jours :  questions linguistique et immigration, lutte contre le patriarcat (« Québécoises deboutte ! »), revendications autochtones, consumérisme, protection de l’environnement, échéance référendaire (avec l’arrivée au pouvoir, en 1976, du Parti québécois). L’effervescence artistique (épanouissement littéraire, rassemblement culturel de masse) texture ce nouveau temps de la Révolution tranquille.

Chez les militants syndicaux, surtout, l’idée de révolution sociale va de pair avec l’indépendance nationale. On espère même, en vain, en 1972, « briser le système ».

Mais la crise énergétique, en 1973, et une triple croissance imprévue et douloureuse: inflation, taux d’intérêts et chômage, mettent à dure épreuve les capacités de l’État-providence à gérer les dossiers économiques. Cet État « s’essouffle sous le poids de la bureaucratie et des déficits budgétaires ».

Le Québec (sous l’influence, maintenant, d’une nouvelle élite définitrice, celle des gestionnaires francophones du secteur privé), une fois de plus, n’échappe pas, à la fin des années 70, à un mouvement nord-américain, celui d’une remise en question du rôle de l’État, en général, et des vertus de l’interventionnisme socio-économique en particulier.  C’est la fin du consensus au sujet de l’État-providence, accusé de « bloquer l’esprit d’initiative et d’entraver le libre marché ».

Les chercheurs Pâquet et Savard identifient, alors, deux points de rupture de cette Révolution tranquille. Un premier, en novembre 1982, avec la cessation des activités minières à Schefferville, « la fin du rêve de l’enrichissement collectif pouvant assurer le développement de nombreuses régions du Québec ». Un second, plus majeur, en février 1983, avec l’adoption d’une loi spéciale forçant le retour au travail des enseignants en grève,  « l’abandon des idéaux de l’État-providence en matière de droits socioéconomiques au profit d’une logique de gestion budgétaire ».

Le gouvernement du Québec a-t-il sacrifié cette classe de travailleurs afin de pouvoir garantir, au plus grand nombre, sa vocation d’État-providence ? C’est à débattre.

Quoi qu’il en soit, l’héritage de la Révolution tranquille est loin de s’effacer au Québec, celui-ci conservant, pour le meilleur ou pour le pire, l’État, pardonnez l’expression péjorative, le plus « maternant » en Amérique du Nord.

Histoire

Brève histoire de la Révolution tranquille

Martin Pâquet & Stéphane Savard - Boréal

Sortie de la religion et des politiques publiques dans les années 1960, participation citoyenne dans les années 1970, défaite référendaire et crise économique dans les années 1980 : en l'espace de vingt-cinq ans, le Québec a vécu en accéléré. Il ne se passe pas un événement politique ou social sans qu'on évoque le legs de la Révolution tranquille. Mais quelle place a-t-elle dans notre histoire? Quelle mémoire doit-on en conserver? S'appuyant sur les plus récentes recherches en histoire et en sciences sociales, Martin Pâquet et Stéphane Savard nous offrent un précis de ces années profuses sur le plan collectif tout en nous invitant à réfléchir à notre rapport au temps.

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