La mondialisation célèbre ses mille ans

Christian Vachon - 28 juillet 2021

La mondialisation célèbre ses mille ans et plus : c’est l’audacieux énoncé de l’historienne américaine Valerie Hansen au cœur de l’essai des éditions Quanto L’an 1000 : Quand les explorateurs ont connecté l’humanité et que la mondialisation est née (une traduction de The Year 1000 :  When Explorers connected the World and Globalisation Began), un ouvrage qui, déviant des lectures traditionnellement euro-centristes du passé, bouleverse complètement notre perception du Moyen-Âge. Pour la première fois de l’histoire, soutient-elle, en l’an 1000, dans ce Moyen-Âge qu’on prétend arriéré, un objet , une idée ou un culte peut faire le tour du monde.

Le monde, au XIe siècle, est loin d’être un espace de stagnation, dominé par les superstitions.  Il n’a jamais eu, d’ailleurs, une « Grande peur » de l’an mil.  Grâce à un excédent agricole, qui entraîne une croissance démographique, et permet à certains habitants du monde d’abandonner la culture à plein temps de leur terre pour se consacrer à la production de marchandises, et aussi devenir commerçants, les échanges se développent entre les différentes régions.

Des routes commerciales sont tracées sur l’ensemble de la planète. Mayas et Incas développent, en Amérique, un réseau routier fort complexe.  Or – environ deux tiers de l’or introduit en Europe et en Asie, avant 1491, provient d’Afrique de l’Ouest – et esclaves – le nombre d’esclaves ayant quitté l’Afrique pour rejoindre le monde islamique, entre le IXe et le XIXe siècle, « est si considérable qu’il égale le nombre total d’esclaves envoyées de l’autre côté de l’Atlantique » – circulent de l’Afrique vers le Moyen-Orient.

Ces voies nouvelles, terrestres, fluviales, maritimes, en Afrique, en Asie, en Europe, permettent aux marchandises, aux technologies, aux religions (c’est une ère où l’Afrique, s’associant au monde islamique, un marché plus vaste, vit une mutation religieuse massive, où nait la division, toujours actuelle, de l’Europe entre secteur orthodoxe et secteur catholique, suite à la conversion des peuples slaves à la religion chrétienne byzantine par le souverain ukrainien Vladimir, où l’Asie centrale se scinde aussi, en deux, par le milieu, quelque part dans le Xinjian, en bloc religieux musulman et bouddhiste), et aux personnes de s’éloigner de leurs terres d’origine. Les changements qui en résultent sont si profonds qu’ils affolent les gens ordinaires.

Ce sont des Scandinaves, les explorateurs Vikings, qui ont bouclé cette boucle mondiale, s’installant, temporairement, sur la côte est américaine, peut-être plus au sud que l’Anse-aux-Meadows, à Terre-Neuve, dans un lieu qu’ils vont appeler Vinland.  Un déséquilibre commercial les pousse, entre autres, à abandonner cette colonie américaine. Le territoire européen, surtout l’est du continent, leur offre des marchandises de plus grandes valeurs que le bois et les fourrures rares de ce « Nouveau monde ».

Et l’Empire le plus engagé dans les relations commerciales avec des nations étrangères, c’est la Chine, « l’endroit le plus mondialisé sur Terre », en l’an 1000, grande exportatrice de céramiques et autres produits manufacturés de haute gamme ; une Chine qui, à l’opposé du Moyen-Orient et de l’Europe, n’a pas besoin d’importer d’esclaves, ni de main d’œuvre, elle en a assez bien avec ses cent millions d’habitants ; une Chine qui se pâme pour les aromatiques, transformant l’odeur et le goût des choses, un marché lucratif attirant les membres les moins fortunés de la famille impériale, et qui va profondément transformer les sociétés de l’Asie du Sud-Est cherchant a  approvisionner ces consommateurs chinois insatiables.

Le commerce, soutient Valerie Hansen, est « une étape importante de l’humanité », engendrant fécondation et infection, enrichissement intellectuel et fragmentation culturelle, favorisant, tout à la fois, la fraternisation et les conflits, ouvrant à certains des perspectives jusqu’alors à peine envisageables, mais accélérant, aussi, la « la soumission de celles et ceux qui étaient les moins aptes à se défendre ».  Des attaques antimondialisation – des émeutiers s’en prenant à ces gens qui « s’enrichissent à leurs dépens » – éclatent dans des villes telles que Canton, au IXe siècle, au Caire, au Xe siècle, ou à Constantinople, au XIIe siècle.

Un nouveau chapitre de la mondialisation s’ouvre à partir du XVIe siècle. Profitant de technologies militaires supérieures, les Européens de l’Ouest, Portugais d’abord, vont se greffer aux réseaux commerciaux existants, en Afrique, en Asie (l’économie de toute la zone de l’océan Indien étant déjà totalement intégrée), puis en Amérique, en contournant simplement les intermédiaires.  La Chine, au lieu de faire preuve d’ingéniosité face à ces nouveaux concurrents, va opter, grave erreur, pour le repli sur soi.

Certes, conclut Valerie Hansen, « la mondialisation n’a pas été favorable à tous, mais les personnes qui font preuve d’ouverture face à l’inconnu s’en sont beaucoup mieux sorties que celles qui ont refusé de s’y confronter ».  Sans relâche, les échanges commerciaux encouragent « les peuples à se hisser au niveau des autres ».

Histoire

L'an 1000 — Quand les explorateurs ont connecté le monde et que la globalisation est née

Valerie Hansen - Quanto

À contre-courant des idées communément admises, l'historienne américaine montre qu'une ère d'échanges technologiques, interculturels, d'exploration et de commerce mondial a existé autour de l'an 1000 entre les civilisations des cinq continents. Elle explore aussi les concepts d'érosion culturelle, d'épidémie ou de dislocation économique consécutives à cette période.

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