La vie heureuse et pleine de surprises de Donna Leon

Christian Vachon - 11 mars 2024

Elle sait nous ravir, Donna Leon. Chaque année, depuis plus de trente ans, elle livre à ses millions de lecteurs impatients une nouvelle enquête captivante de son commissaire vénitien Guido Brunetti. Ses récits sont traduits en une vingtaine de langues, sauf l’italien. Car, voyez vous, elle désire conserver l’anonymat à Venise.

Donna Leon nous gâte davantage cette année. Elle vient de publier Une promesse d’aventure (une traduction de Wandering Through Life), un recueil de deux cents pages sans prétention, plaisant, et édité chez Calmann-Lévy. Elle y fouille sa mémoire et nous présente des gens remarquables, des événements insolites qui ont truffé sa vie. Elle nous dévoile comment une étudiante en littérature se trouve plongée, à la fin des années soixante-dix, dans un Iran en ébullition; comment une fille native du New Jersey peut tomber folle amoureuse de l’Italie; comment une adolescente de la génération rock en vient à se convertir à la musique baroque.

Elle est pleine de surprises, Donna Leon. Elle mène aussi une enfance radieuse avant de vivre ses folles péripéties. « Ma mère était quelqu’un d’heureux, et mon frère et moi avions une claire propension à la gaieté depuis toujours (…). Elle adorait faire rire les gens, ne pouvait résister à la stupidité. (Le soir de l’Halloween), elle s’amusait à déguiser (notre) chien Sooner en lion ou en Pom-Pom Girl ».

On adorait aussi lire dans sa famille et jouer avec les mots. Donna Leon entreprend donc des études universitaires en littérature. En 1976, en quête de revenus supplémentaires, alors qu’elle rédige sa thèse de doctorat, elle parcourt les petites annonces du New York Times. C’est là qu’elle déniche un poste d’enseignement de l’anglais, à Ispahan, à des pilotes d’hélicoptères, « des gentils garçons » de l’Iranian Air Force.

Au début de 1979, toutefois, les gentils pilotes s’évaporent. C’est qu’il y a une révolution et elle doit, elle aussi, l’Américaine, s’éclipser. Elle laisse là-bas trois grandes malles « à expédier par bateau, à une date ultérieure ». Elles font leur apparition cinq mois plus tard. Rien n’avait été volé, « mais ils avaient confisqué tous les documents, même la thèse de doctorat ».

Donna continue de collectionner les drôles de boulots. Elle dégote une charge d’enseignement de la littérature anglaise en Chine, à l’université de Suzhou, à l’ouest de Shanghai (« les étudiants avaient peu d’intérêt pour le vaste monde »), avant de se retrouver au royaume d’Arabie Saoudite, au début des années quatre-vingt, donnant des cours aux enfants des familles princières à la King Saud University of Riyad (« cela ne se faisait pas de donner des mauvaises notes aux étudiants, personne ne devait rater ses examens »).

« Après neuf mois d’Arabie Saoudite, mon esprit aspirait à la paix et à la beauté, d’où mon installation dans la ville qui en débordait : Venise ». Elle y arrive sans emploi (elle finit par trouver un emploi de professeur de littérature anglaise dans une base militaire américaine des environs). Elle va y vivre plus d’une trentaine de merveilleuses années.

En premier plan, un nombre imposant de maisons et de bâtiments qui ont tous un toit brun-rouge. L'ensemble de tous ces bâtiments s'étend jusqu'à une eau bleu foncée sur laquelle se trouvent plusieurs bateaux de plaisance. Proche de l'eau, une grande tour avec horloge et un gros bâtiment circulaire blanc. Une petite rive, comme l'entrée d'un port s'y trouve. Il y a donc une tour quasi identique à la première de l'autre côté de ce canal. Puis, l'eau continue vers une petite île aux maisons avec le même toit rouge que les autres, puis une étendue maritime plus grande se dessine en arrière-plan.
Venise dans la Lagune. Crédits photo : Oliver-Bonjoch.

Finis, donc, les fréquents allers-retours des années précédentes. C’est qu’elle a, au début des années soixante-dix, subi un coup de foudre pour ce pays alors qu’elle accompagnait une amie italo-américaine à Naples et dans tout le sud de l’Italie. « J’étais dans un  pays où je ne comprenais pas grand-chose, hormis le fait que je savais que je l’aimais. Lorsque je suis retournée aux États-Unis, j’avais constaté combien j’avais changé après un an au milieu de ces gens généreux, ouverts, tolérants et patients. »

Donna est dévorée, aussi, à la fin des années soixante, d’une autre passion qui la distingue de bien des gens de son âge : la musique baroque vocale. Un Messie de Haendel, à un concert de Noël de son collège, « change sa vie ». Cet enthousiasme va l’amener à rencontrer des hommes formidables : le directeur d’opéra Sir Peter Jonas (« Mon Dieu ! Cet homme aurait pu séduire la plus glaciale des statues (…). Ma vie a été incommensurablement enrichie par son amitié ») et le chef d’orchestre Alan Curtis, addict comme elle à Haendel (« c’était un travailleur qui voulait offrir un plaisir infini à son auditoire »).

Elle nous présente, bien sûr, dans une « lettre pour le Questore », l’autre homme de sa vie : le commissaire Brunetti (on n’en sait guère plus sur la vie sentimentale de Donna Leon, célibataire par choix), ce policier qui continue à lire ses classiques grecs et romains « dans l’espoir que ces écrivains l’aideront à comprendre la nature de la justice ».

Il faut beaucoup d’imagination et, par bonheur, Donna Leon en recèle, pour assombrir cette ville de Venise, « une des villes les plus sûres de la planète ». « Je suis attirée par le crime, ou, plus précisément, mon imagination a tendance à criminaliser même la plus innocente des situations. »

Depuis quelques années, Donna Leon n’est plus parfaitement heureuse à Venise. « Je ne veux pas la partager [la ville de Venise] avec des paquebots de croisière (dont le passage détériore les murs des immeubles, les affaissant même), ni avec des milliers de touristes par an ». Elle a trouvé refuge dans les montagnes de la Suisse voisine : « Je crois que vivre dans ce pays ne m’ait pervertie : si les trains ne sont pas à l’heure, je rouspète. »

Elle s’est aussi acheté une maison dans les Dolomites italiennes… avec un grand jardin où, depuis, elle vit un parfait amour avec ses visiteuses, les abeilles, tentant « d’appréhender leur perfection ». Elle les fait d’ailleurs « bourdonner » dans Les disparus de la lagune.

À plus de quatre-vingt ans, toujours vigoureuse, toujours sereine, Donna Leon n’a « toujours pas le goût de ne rien faire ». Il faut donc toujours prévoir, pour notre plus grande joie, bien d’autres rendez-vous annuels avec son commissaire Brunetti.

– Christian Vachon (Pantoute),  10 mars 2024

Biographie & Faits Vécus

Une promesse d'aventure

Donna Leon - Calmann-Lévy

Originaire du New Jersey, Donna Leon enseigne la littérature en Iran, en Chine, en Arabie saoudite puis à Venise, où elle réside toujours, avant de se consacrer à l'écriture de romans policiers. Elle décrit son parcours ainsi que les coulisses de son travail d'écrivaine.

Acheter

Commentaires

Retrouvez toutes nos références

Notre catalogue complet