Quel vilain personnage, le traître. Pourtant, que connaissons-nous de son histoire ? Qu’est-ce qui motive son choix, à poser ce geste fort ? Ses motivations sont peut-être honorables… qui sait ? Une équipe d’historiens (Patrice Gueniffey, Jacques-Olivier Boudon, Éric Anceau, Bénédicte Vergez-Chaignon et d’autres), dirigée par Franck Favier et Vincent Haegele, se questionne à ce sujet dans Traîtres : nouvelle histoire de l’infamie. Cet ouvrage, publié aux éditions Passés/Composés, dresse le portrait d’une quinzaine de grands traîtres de l’histoire en une de dizaine de pages pour chacun – cette liste inclut, bien sûr, le Norvégien Quislinq, dont le nom lui-même est devenu qualificatif de traîtrise (chapitre 17 : « Vidkun Quisling » par Eric Eydoux). Les auteurs narrent les faits permettant d’éclairer le choix qu’ont fait ces traîtres et, bien souvent, le constat est troublant : avec le recul du temps, cette trahison peut même être considérée comme un acte de bravoure.
Victorieux (« les rebelles n’ont pas le droit de perdre »), les destins de Charles de Montpensier et Louis 1er de Condé, « traîtres à la famille royale » au XVIe siècle, auraient pu être autres, nous raconte Didier Le Fur au chapitre premier. Songeons simplement à la postérité de Henri de Navarre.
Traîtres, ces milliers d’émigrés d’origine noble, continuant à servir la France de leur père tandis que leur pays accouche, à la fin du XVIIIe siècle, d’un monde nouveau (chapitre 9 : « Les émigrés, des traîtres ? » par Florence de Baudus) ?
Le choc des légitimités et l’incertitude politique peuvent parfois rendre aléatoire l’évaluation des trahisons (chapitre 10 : « Se rallier, se renier ou trahir ? Les cas de conscience de la complexe année 1815 » par Vincent Haegele). Raphaël Lahlou porte même un regard indulgent et compréhensif sur Benedict Arnold, le « bad guy » de l’histoire américaine, hésitant à franchir ce gouffre vertigineux de l’indépendance américaine (chapitre 6 : « Benedict Arnold : héros gâché et traître classique de l’indépendance américaine »).
Des renégats deviennent même héros avec le passage du temps : Gonzalo Guerrero, ce traître repoussoir reniant ses croyances chrétiennes est devenu une idole anti-impérialiste de la conquête du Mexique, un modèle du « conquérant conquis » (chapitre 2 : « Gonzalo Guerrero : la fabrication du renégat espagnol » par Gonzague Espinosa-Dassonneville); l’officier Sprengtporten complote contre son monarque, le roi de Suède, en projetant avec l’aide de la Russie la sécession de la Finlande en 1781 et peut être perçu, à juste titre, comme un champion de l’indépendance de cette nation (chapitre 7 : « Sprengtporten : traître ou patriote ? » par Franck Favier).
Que de récits magnifiques (le chevalier de Rohan rêvant, en 1672, d’une réforme générale de la société en voulant soulever la Normandie (chapitre 5 : « Vingt ans après, ou la conspiration du chevalier de Rohan » par Thierry Sarmant)) ou pathétiques (le maréchal Bazaine, l’homme du désastre de 1870, un « défaitiste rendu inquiet par les précédents historiques et le spectre d’un guerre civile » (chapitre 14 : « L’homme de Metz : François Achille Bazaine » par Vincent Haegele); Wang Jingwei, le « traître éternel », honni tant par les nationalistes que les communistes en Chine, spécialiste des « spectaculaires renoncements » lors de la terrible guerre sino-japonaise de 1937 à 1945 (chapitre 16 : « Wang Jingwei, le »martyr raté » de la République » par Sébastien Bertrand)). Que de récits rocambolesques, surtout, dans ces biographies de traîtres (Georges Bessières, ce déserteur de l’armée napoléonienne qui n’accumule pas une, pas deux, mais trois trahisons dans sa carrière d’une dizaine d’années en Espagne : à sa patrie, à sa cause, à son roi (chapitre 12 : « Les trois trahisons de Georges Bessières » par Gonzague Espinosa-Dassonneville)) !
Parfois, en l’absence de sources adéquates, détruites ou disparues, comme dans ce cas de la « trahison » de l’officier austro-hongrois Redl au début du XXe siècle (chapitre 15 : « L’affaire Redl » par Michel Kerautret : un chantage des services secrets russes lié à l’homosexualité du militaire est à exclure, conclut toutefois l’historien), les motivations de « l’infamie » restent à jamais impossibles à cerner. Mais les conclusions, que ce soit l’exécution publique (Rohan, Quisling), l’exil et l’isolement social (Arnold, Bazaine, Wang Jingwei), ou le suicide (Redl), demeurent toujours tragiques.
Incompris, mais jamais ennuyeux, ces traîtres.
– Christian Vachon (Pantoute), 1er juillet 2023
Traîtres - Nouvelle histoire de l'infamie
L'histoire regorge d'exemples plus ou moins édifiants, qu'ils soient individuels ou d'ordre collectif, d'actes de trahison. Plus d'un événement marquant a en effet pu être occasionné par la décision d'un personnage ou de son entourage de changer de camp, ou de refuser d'obéir. Parfois la trahison est devenue, avec le recul du temps, un acte de bravoure... Toujours elle éclaire un caractère, met en valeur une faiblesse très humaine ou exprime un sentiment blessé. En bousculant l'ordre social, la trahison est un geste fort et, d'une certaine manière, un sacrifice personnel qui demeure complexe à comprendre.. Pour tenter, justement, de saisir les enjeux que soulève la question de la trahison, les auteurs de ce livre original sur un sujet d'ordinaire abordé de manière caricaturale font le portrait d'une quinzaine de grands « traîtres » du XVième au XXième siècle. Ils dessinent ainsi une nouvelle histoire de l'infamie à travers les vies de ces hommes et femmes hauts-en-couleur dont les aventures parfois rocambolesques trouvent une conclusion souvent tragique.
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