Les complotistes, ces grands anxieux

Christian Vachon - 1 juillet 2021

« L’histoire est bien plus le produit du chaos que du complot »

— Zbigniew Brzezinski

Les complotistes, des gens venus d’une autre planète ?  Des paranoïaques ?   Non, de grands anxieux et anxieuses plutôt, des gens ordinaires bousculé.e.s dans leurs habitudes quotidiennes, trouvant dans le « à qui le crime profite ? », le « is fecit cui prodest »: la raison à tous ces maux, imputant tout événement mauvais à la volonté mauvaise d’une puissance maléfique, une hyper-suspicion qui engendre un hyper-dogmatisme.

Le complotisme s’inscrit dans « la pensée sociale ordinaire » constate le réputé philosophe Pierre-André Targuieff qui, depuis plusieurs années, observe attentivement ce phénomène déconcertant, puisant dans une littérature sur ce sujet allant en se multipliant :  travaux anthropologiques, enquêtes sociologiques, réflexions philosophiques, essais de psychologie sociale. Il vient tout juste de publier, dans la vénérable collection Que sais-je ? (le numéro 4 066), des PUF, un Théories du complot, bilan-synthèse de moins de 150 pages, sur les causes et remèdes à ce discours complotiste en pleine émergence, cherchant, dit-il, « à jeter un pont entre la culture populaire globalisée fortement imprégnée d’imaginaire et les recherches savantes, pluridisciplinaires ». Le complotisme rassure. « Le complotisme répond à une demande de sens et de cohérence ». Les récits complotistes « réenchantent le monde, fût-ce pour le peupler de démons ».

Les adeptes des théories du complot se nourrissent d’une culture de la méfiance qui irrigue le vaste champ des croyances populaires, se targuant de dénoncer un système financier international « qui a confisqué et privé de son sens la démocratie », nous mettant face au constat d’une « trahison du peuple par les élites ».  Les conspirationnistes se recrutent aussi bien à droite qu’à gauche.

Rien n’est tel qu’il parait être.  Rien n’arrive par accident. Tout est lié ou connecté, mais de façon occulte. Tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées. Tout ce qui est officiellement tenu pour vrai doit faire l’objet d’un impitoyable examen critique. Le mal est, donc, partout, « mais tout est sous contrôle ».  « Le paradoxe de l’effet « inquiétant-rassurant » est au cœur du phénomène complotiste ».

Rien de condamnables à ces théories (les complots ont toujours existé dans l’histoire) produisant des illusions sécurisantes, mais la plupart sont des mauvaises théories, infondées, mal étayées, ou « trahissant des biais évidents », nourrissant la haine d’un groupe social ou ethnique donné :  les francs-maçons au temps de la Révolution française, les « banquiers » juifs, le Deep State, pédophile et satanique, popularisé par les adeptes du mouvement QAnon, …

Comment les contrer ? Des stratégies anti-complotistes jouant sur le postulat « ils sont paranoïaques », « risquent de n’avoir pas la moindre efficacité, sinon de renforcer la croyance complotiste ».  Les complotistes ont la réputation de gagner les batailles en épuisant ou en lassant leurs adversaires.  « L’absence de preuves n’est pas l’absence de complots, c’est la preuve ultime du complot ».  Le complotisme est un « remède-poison qui fait du complotiste une variété de « pharmacomanes » plus difficile à traiter que de simples toxicomanes ».

Selon Targuieff, la méthode la plus efficace est la « critique démystificatrice froide qui  consiste à réfuter les thèses complotistes sans s’acharner contre les complotistes ». Il faut cibler, entre autres, la cohérence des discours complotistes, de la valeur de vérité des propositions qu’il comporte.

Il faut, surtout, ne jamais attribuer à la malveillance ce que la simple bêtise suffit à expliquer.  Donc, plutôt que de dénoncer un complot « fomenté par des traîtres », ou de mettre en accusation  « l’État profond », tenter le plus souvent de pointer la  stupidité ou l’incompétence des responsables desdits échecs « afin de dissuader les indécis de se laisser séduire par les flots de récits complotistes ».

Goscinny et Morris l’ont bien devinés: des vilains à la Joe Dalton, responsables du chaos de ce monde, se distinguent plus par leur bêtise que leur méchanceté.

Essais étrangers

Les théories du complot

Pierre-André Taguieff - PUF, coll. Que sais-je?

Le point sur le complotisme et les théories qui s'opposent aux thèses officielles et mettent en scène un ou plusieurs groupes agissant secrètement pour réaliser un projet de domination ou d'exploitation. L'auteur explique comment ce phénomène répond à une demande de sens et de cohérence, assortie d'insatisfaction.

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