L’historien qui nous rend exceptionnels

Laurent Turcot aime faire vibrer l’histoire en faisant de nous, les Québécois et Québécoises, des gens exceptionnels. Depuis plusieurs années, le professeur de l’UQTR se plaît à raconter au grand public, sur une chaîne YouTube, des histoires qui parlent de la vie quotidienne, des sensibilités, de grands et de petits événements, tentant ainsi d’expliquer, par nos manières d’êtres ou de faire, ce qui nous distingue, ici, au Québec.

Dans L’histoire nous le dira, un ouvrage portant le même nom que sa chaîne YouTube, publié ce printemps 2022 chez Hurtubise, il a regroupé plusieurs de ses chroniques en cinq thèmes :  la santé, les fêtes, le sport, la langue, la gastronomie. Ces cinq marqueurs culturels définissent selon lui le Québec actuel. Distrayant ? Assurément. Instructif ? Évidemment. Persuasif ? Partiellement.

     Ainsi, il est amusant, tout au plus, ce chapitre sur la médecine, avec ces explorations coquines des vertus de l’urine et des travers des menstruations, et rappel, bien à-propos des émeutes anti-vaccins de 1885, à Montréal (« C’est pour nous punir de notre orgueil que Dieu nous a envoyé la variole ! »). Mais l’historien Turcot échoue à dénouer cette énigme :  pourquoi les files d’attente aux urgences semblent-elles plus longues au Québec que partout ailleurs ?

     Certes, les Québécois aiment bien meubler leurs calendriers de fêtes de toutes sortes :  fête des Rois, Saint-Valentin, Halloween…, mais ne s’agit-il pas d’un plaisir commun à bien des communautés ? Avouons, tout de même, qu’on fait preuve d’une grande originalité, au Québec, en associant la corvée du déménagement à un jour férié.

    Le hockey est, c’est incontestable, devenu la « vraie grande religion » au Québec,  mais ne partageons-nous pas ce culte avec le Canada anglais (et leur messe sabbatique du Hockey Night in Canada) ?  Fort réjouissante, en passant, la découverte par Laurent Turcot, dans ce chapitre, d’un  répertoire des « sports improbables » :  « lutte sur pieuvre », « lancer du renard » (« quand la cruauté », en Angleterre, au XVIIIe siècle, « rencontre la stupidité »), « course au cochon graissé »(une tradition longtemps pratiquée, au Québec, jusqu’en 2019), « tirage d’anguille vivante », « repassage extrême » :  si, si, accroché à une falaise…

   Il ne fait aucun doute, toutefois, que notre langue nous rend exceptionnels. Entendre la Québécoise Megan lancer un « câlisse » bien appuyé lors du premier épisode, le 25 mars 2012, de la cinquième saison de la série culte américaine Mad Men fut un grand moment de fierté, une consécration internationale. « Le sacre n’est pas qu’une simple expression de la colère, mais un prêt-à-penser qui permet de comprendre l’histoire du Québec, voire la richesse du vocabulaire d’ici.  Bref, un fait social total ! ».

  Nous avons, aussi, un vaste lot d’expressions imagées, évocatrices, percutantes (« être attendu avec une brique ou un fanal », « cogner des clous »…), à léguer au reste de l’Humanité, plusieurs étant, Laurent Turcot le souligne bien, des vestiges du vieux français (« être magané »), ou des emprunts de l’anglais (« bécosse »).

  Mais, surtout, depuis plus d’une trentaine d’années, le Québec est devenu synonyme de poutine, ce « symbole de la gastronomie qu’on exporte ».  Notre culture culinaire se distingue, bien sûr, par d’autres plats aussi réconfortants (entre autres, le pâté chinois aux origines obscures, et qui n’a pas été propagé, nous avertit Laurent Turcot, par des « travailleurs chinois de la fin du XIXe siècle »). Cependant, aucun n’a aussi durablement conquis le reste du monde, du Mexique à la Thaïlande. Qui, des gens de Warwick ou de Drummondville, peuvent en revendiquer l’invention dans les années 50?  Même l’historien Turcot n’ose trancher cette « guerre de clochers ». Le débat crucial se poursuit.