Depuis le début du troisième millénaire, des milliers d’Espagnols détestent Luis Pio Moa Rodriguez; des milliers d’autres l’admirent. Il a écrit des bouquins, des bombes médiatiques devenues best-sellers, s’en prenant à une « vérité intouchable », à une histoire idyllique : celle d’un Front populaire qui, lors de la guerre civile de 1936-1939, défendait la légalité et la liberté.
Pio Moa pointe, en fait, « l’écrasante responsabilité de la gauche » dans cette tragédie. « C’est bien le mouvement révolutionnaire et l’effondrement de l’État qui ont entrainé le soulèvement de juillet 1936, et non l’inverse. La République aurait pu survivre si elle avait été démocratique»; et si, depuis 1934, la légalité n’avait pas été violée afin d’accéder, prétendument, « à un monde nouveau ». La guerre de 1936 n’est donc pas un combat de démocrates contre des fascistes (même si une des principales forces du camp franquiste – mais pas la première, à savoir la Phalange – peut être assimilée au fascisme), mais entre un totalitarisme et un autoritarisme.
Le lectorat francophone, grâce à la traduction de l’espagnol de ce Mythes de la guerre d’Espagne 1936-1939, publié chez L’Artilleur, peut enfin porter un jugement sur les thèses explosives de Pio Moa.
Un militant vétéran de l’extrême-droite ce Pio Moa ? Pas du tout. Il est un activiste antifranquiste né en 1948, issu de la gauche radicale et formé à l’école marxiste. Ses sources, à la base de son enquête : les archives socialistes sauvegardées par la Fondation Pablo Iglesias.
Dans les premiers chapitres de cet ouvrage, il examine les décisions politiques des grands héros publics des mouvements de gauche (Azana, le « jacobin » anticlérical, Caballero, le promoteur d’une république prolétarienne et d’autres) qui, de 1931, date de la fondation de cette Seconde République (une république qui, ne l’oublions pas, est née « sous l’impulsion et la direction de personnalités qui étaient monarchistes la veille, catholiques et conservatrices »), jusqu’à cet été fatidique de 1936, vont tranquillement gruger la « légalité bourgeoise », forcer au naufrage tout projet centriste (la modernisation de l’Espagne va faire long feu) et discréditer la droite parlementaire. Cela passe notamment par la réaction violente forcée par l’assassinat, en juillet 1936, d’un des leaders de cette mouvance de droite Calvo Sotelo, mettant définitivement fin aux apparences de légalisme par l’armement des mouvements syndicats dès les premiers jours de la guerre civile.
Cette guerre civile, par ailleurs, ne s’explique pas par une conspiration communiste. Jamais le Parti communiste espagnol, dirigé par José Diaz, n’a milité pour un soulèvement. Mais cette minuscule organisation (son influence est bien supérieure à son nombre d’adhérents) va, au fur et à mesure du déroulement du conflit, peser de plus en plus lourdement sur les orientations du camp républicain, tirant profit à l’automne 1926, du rôle capital des conseillers soviétiques lors du siège de Madrid (alors que le gouvernement s’enfuit à Madrid). Par son entremise, le gouvernement républicain devient le « protectorat de Moscou ». Il n’y a pas une domination comparable de l’Allemagne et de l’Italie sur le camp nationaliste.
Les puissances occidentales, par crainte « d’une contamination révolutionnaire » (fausse crainte : George Orwell va être témoin, en mars 1937, à Barcelone, de cette mort de la « ferveur révolutionnaire » lorsque les Républicains, soucieux de répondre aux desseins hégémoniques « d’unité politique et militaire » du PCE, vont violemment mettre un terme à l’autonomie des anarchistes en Catalogne), adoptent une politique de non-intervention, permettant un équilibre global entre les deux camps en terme de matériel reçu. Le conflit va ainsi s’étirer pendant trois ans.
Mais les démocraties européennes, préoccupées par ce Hitler s’agitant en Allemagne, souhaitent ultimement la fin de cette bisbille dans son arrière-cour et Francisco Franco va leur apparaître le « seul vainqueur envisageable »; un Franco qui leur annonce sa neutralité en cas de conflit européen.
Une énigme, pour Pio Moa, que ce Franco « qui n’a pas peur de la République mais de la Révolution »; un Franco économe de ses forces, y allant par petits pas, n’obtenant que de petits gains qui lui permettent tout de même d’entrer victorieux dans Madrid à la fin de l’hiver 1939.
Opposé aux ruptures, il poursuit après 1939 sa politique de petits pas, surmontant en 1948 l’épreuve de l’après-guerre, parvenant à moderniser l’Espagne par des réformes ordonnées.
Un anachronisme, ce Franco, comme l’affirme Orwell ? Plutôt, le transformateur « d’un pays agraire en pays fondé sur l’industrie et les services ». À sa mort en 1975, il laisse en héritage une « classe moyenne indispensable à l’avènement et au maintien de la démocratie ». Franco, cependant, est surclassé par ses ennemis en un domaine important : la propagande. Aujourd’hui, il est de bon ton de proclamer que ce sont les antifranquistes qui ont forcé et mené cette transition démocratique, mythe que tente de dégonfler Pio Moa.
En s’en prenant au récit mythique d’un Front populaire défendant la démocratie, opposé à la brutalité du camp franquiste (alors que haine et « volonté d’en finir » étaient des pratiques communes aux deux camps, que les persécutions religieuses et leur lot de destruction d’un patrimoine artistique, exercées par le camp républicain, sont trop facilement balayées sous le tapis), victime du bombardement de Guernica (dont le nombre de victimes est aujourd’hui revu fortement à la baisse), Pio Moa livre sans doute une bataille perdue d’avance.
– Christian Vachon (Pantoute), 8 octobre 2023
Les mythes de la guerre d'Espagne, 1936-1939
S'appuyant sur de nombreux documents, P. Moa bat en brèche certaines idées reçues sur la guerre civile espagnole à la fin des années 1930. Il affirme que la gauche révolutionnaire est à l'origine du conflit. Il évoque notamment l'escalade de la violence et la radicalisation du parti sous le Frente popular.
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