Manseau 1970 : autopsie d’un festival flop

Christian Vachon - 29 avril 2021

L’épisode fait marrer, depuis cinq décennies, des générations de Québécois :  Manseau , « petit village perdu sur la bordure de la route transcanadienne qui relie Montréal à Québec », tente de rééditer, lors de l’été 1970, les trois jours de fête, à Woodstock, de l’année précédente.  Il n’y aura pas d’achalandage monstre, en fait, pas d’achalandage du tout, et pas d’artistes, muant, dans l’imaginaire collectif, ce festival pop en festival flop.

Jacques Crochetière, historien de formation, né à Manseau, en 1959 – il a donc 11 ans, au moment du festival -, pratique l’autopsie de cet échec, tout en redorant le blason de son village natal, dans Le Woodstock pop festival de Manseau 1970, publié, cet hiver 2021, aux éditions GID, un ouvrage copieusement illustré d’une centaine de photos inédites tirées des archives municipales.

Monsieur Crochetière s’en tient, toutefois, presque uniquement aux journaux de l’époque dans son travail d’enquête, nous livrant, malheureusement, très peu de témoignages oraux.

On aurait aimé, entre autres, en savoir plus sur les organisateurs de ce festival, les représentants de Woods productions, les filous aux sources de ce flop, personnages burlesques, aux ramifications nébuleuses (ils vont témoigner, les années suivantes, lors de la Commission d’enquête sur le crime organisé, la « CECO »), évadés d’un épisode des Sopranos :  Richard « Ziggy » Wiseman, Roger Vandal, et le quatuor des frères Filiatrault (Raymond, Réal, Pierre et Fernand), se donnant « une caution de crédibilité » en s’enjoignant un ancien de Woodstock, le producteur de musique Michael Lang, comme conseiller technique, et parvenant à convaincre le maire (candide ?) de Manseau, Paul Dionne, trop heureux de mettre son village sur la « mappe », en lui offrant des parts des revenus bruts générés par l’événement (représentant 25% du budget annuel de la municipalité – 3 000 dollars – si l’objectif de 25 000 billets vendus, à 12 dollars chacun, est atteint).  Quels bénéfices, cette bande d’escrocs, dont l’amour du rock ne semble pas la préoccupation première,  espèrent-ils tirer de cet événement ?  Un bon pactole soutiré de la vente des stupéfiants ?  Le mystère persiste.

Quoi qu’il en soit, Jacques Crochetière nous confie une édifiante chronique d’un désastre annoncé, débutant par des annonces, sans cesse changeantes, d’artistes devant être présents :  Jimi Hendrix, Little Richard, Grand Funk,… (finalement, seul un Doctor  Jones va se pointer).

Face à ces incohérences, les journalistes sonnent l’alarme, bien avant le début, le vendredi 31 juillet, du festival.  Le scepticisme va aller grandissant lorsque, le 24 juillet, la police va perquisitionner au bureau d’un Woods production, soupçonné de fraudes.

Le premier jour du festival, les quelque milliers de spectateurs (les ventes de billets sont désastreuses) entendent, devant une scène vide, de la musique enregistrée, les groupes, au fait de la mauvaise réputation des organisateurs, étant peu enclin à se présenter.  Michael Lang, tentant, pendant des heures, de colmater les brèches, décide, finalement, face à l’incompétence des gens de Woods production, de quitter, en soirée, ce navire sur le point de sombrer.

Il y aura du grabuge, le lendemain, 1er août, lorsque des festivaliers monteront sur scène et exigeront l’entrée gratuite, pour tous, sur le site. Pierre et Fernand Filiatrault vont y consentir, à 14 heures trente, pour, disent-il, « contribuer à l’avancement de l’humanité ».

Le « plus  grand festival pop » va alors changer de visage, devenant, surtout le lendemain dimanche,  un « pique-nique de voyeurs », les curieux accourant de partout, avec leur appareil photo, pour jouir du spectacle du sex, drug and rock’n roll — surtout du sex.

Des familles entières vont, enfin, pouvoir voir, un jour, dans leur vie, des « hippies tout nus », au grand plaisir, aussi, des 270 journalistes et photographes présents.  Louise Cousineau, dans La Presse, nous fait part de cette « fille nue qui circulait dans le ruisseau étant continuellement suivie par une centaine de spectateurs se déplaçant de gauche à droite selon les caprices de la belle ».  C’est du bonbon, également, pour Photo Police, qui couvre l’événement en reproduisant, en page couverture de son numéro hebdomadaire, une femme toute aussi courte vêtue (trois réimpressions, 125 000 exemplaires vendus).

Un orage, éclatant vers 14 heures trente, permet de mettre fin, plus tôt, à ce festival du voyeurisme.

Les gens de l’endroit auront été plus dérangé par les policiers (ils furent plus de 200 à « envahir » Manseau) que par les hippies.  Ils n’avaient, d’ailleurs, jamais vus autant « d’anglophones, barbus, échevelés et pauvres pas surcroît ».

Doctor Jones, qui a eu l’audace de venir à ce festival, ne parvient pas à obtenir son cachet, ni à se faire acquitter son frais de séjour au Château Frontenac.  Il subit même l’odieux de se faire saisir ses instruments de musique.

Ce qui n’empêche pas « Ziggy » Wiseman d’expliquer que si ce festival est un flop, « c’est de la faute à tous ces bâtards (les policiers) qui ont refusé d’arrêter les fautifs entrant sans payer ».

Seulement 2 764 billets, finalement,  auront été vendus, loin des  17 000 promis à la ville qui devra payer les frais encourus par Protection civile, les services des incendies, la présence des gardes… Mince consolation, Manseau sera la localité la plus nommée, par l’ensemble des médias, durant l’été 1970.

« L’impossible rêve », imaginé à Woodstock, en 1969, s’est transformé, un an plus tard, en cauchemar grotesque.

Il renaît pourtant, l’auteur, en conclusion, néglige de le mentionner, vingt-cinq plus tard, cet « esprit Woodstock » au Québec.  D’année en année, à partir de 1995, des milliers de personnes (plus de 70 000, uniquement en 2005), se donnent rendez-vous (jusqu’en 2019) à un Woodstock en Beauce, à Saint-Ephrem et Sainte-Clotilde, pour avoir, simplement, du « fun en paix », appréciant, sans scandale ni tumulte, la musique de centaines de groupes, de la Bottine souriante à Limp Biskit.

–          Le Woodstock pop festival de Manseau 1970.  Jacques Crochetière, les éditions GID

Pantoute
Histoire

Le Woodstock Pop Festival de Manseau

Jacques Crochetière - GID

En 1970, les échos du Festival de Woodstock de 1969 continuent de faire l'objet de commentaires dans les différents médias. Pourquoi plus de 400 000 personnes ont-elles décidé de se réunir dans un champ en pleine campagne pendant trois jours?

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