En quatrième de couverture du Starzec : un mois à Cracovie (Nouvelle adresse) de Philippe Girard, le créateur salué, ces derniers mois, de Leonard Cohen sur un fil (Casterman), on retrouve cet avertissement : « Le risque d’inviter un auteur en résidence, c’est qu’il fasse un livre ». La Pologne n’en a pas tenu compte. Elle a bien mal accueilli, il y a deux ans, le bédéiste québécois. Elle en paie maintenant le prix.
En moins de 120 pages, dans son style clair bien assumé, Philippe Girard illustre, d’une fine ironie cinglante, l’ambiance morose d’un mois de tournage en rond, entre les quatre murs de l’ancien appartement d’une poétesse polonaise décédée, nobélisée en 1996, déconnecté de tout, dans une Pologne qui l’ignore. Dans quoi s’est-il embarqué ?
Malgré les mises en garde d’un ami : « N’ai pas d’attente, et veille à ne pas en créer », il part pourtant, à l’automne 2019, ambassadeur, pour un mois de la Maison de la littérature de Québec, vers ce pays de l’Europe de l’Est, le cœur et la tête remplis d’espoir, la valise pleine de sirop d’érable, et d’autres gâteries du Québec, à remettre aux dizaines de Polonais qu’il va croiser dans d’innombrables ateliers et conférences.
Loin d’être stimulant, le périple, précocement, s’annonce désastreux : des heures d’attente, à l’aéroport de Toronto, à cause d’une tempête, une ville de Cracovie, désertée le dimanche (tout le monde est à la messe) où il pleut tout le temps, deux types de battant, pour des raisons inconnues, à l’entrée de son immeuble, un drôle de murmure, tôt le matin, venant du logement d’en-haut, l’empêchant de dormir (on en connaitra, à la fin du récit, l’origine -sachez qu’un certain pape se fait partout envahissant dans ce pays-), et surtout, surtout, personne pour l’accueillir.
Son « contact » se désiste pour des raisons de maladie, avant de disparaître, pendant deux semaines, chez un ami. Pas de rencontres, donc, avec la communauté culturelle de Cracovie, pas d’ateliers, pas de conférences. Rien. Philippe est laissé à lui seul, alors qu’à Québec sa partenaire d’échange polonaise, au cours du même mois, multiplie les rendez-vous.
Philippe a énormément de temps à consacrer à sa création littéraire. Trop.
Personnage suspect, ne parlant pas polonais, aux yeux de ses voisins d’immeuble, il tente d’éviter la déprime, s’évade… en visitant Auschwitz, ou en faisant un bref séjour à Varsovie, le seul endroit où il pourra échanger avec un membre de la communauté littéraire.
Ses yeux se tournent de plus en plus vers des « paysages intérieurs », cherchant à comprendre pourquoi cette Pologne se refuse à l’accueillir. Ce pays, si catholique, lui en veut-il à cause d’un livre (Tuer Vélasquez, Glénat) sur un prêtre manipulateur et tripoteur ? Ou est-ce parce qu’il est, à quarante-neuf ans, un vieux, un « starzec » ?
« Si mon voyage avait été agréable », constate-t-il, « je ne penserais pas à en faire un livre », un livre franchement distrayant, et instructif, sur une contrée où il est impossible d’échapper à Jean-Paul II. Ce rendez-vous manqué avec les Polonais n’est-il pas la preuve que des mésaventures naissent les meilleurs récits ?
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