Franchement enivrant ce Mouroir des anges de Geneviève Blouin! Publié cet automne 2022 aux éditions Alire, cette œuvre sans fausse note est signée par une écrivaine curieuse, audacieuse exploratrice des genres, qui, après s’être adonnée, entre autres, au roman jeunesse et à la fantasy, fréquente maintenant les sombres ruelles du roman policier.
Elle nous séduit particulièrement par cette intrigue troublante, l’histoire d’un agresseur, d’un faiseur d’anges, venant ébranler la quiétude d’une ville-dortoir de la banlieue montréalaise, s’en prenant à des femmes en début de grossesse, les faisant avorter en laissant auprès de ses victimes un ange en plâtre. Pourquoi se comporte-t-il de cette façon aussi sauvage envers ces femmes qui avaient déjà choisi d’interrompre leur gestation ? Un méchant casse-tête pour les policiers de la ville de La Magdelaine plutôt confrontés, habituellement, à de petits cambriolages. L’enquête s’étire, les pistes mènent nulle part, et différents indices laissent présager que le malfrat va frapper de nouveau. Croyez-moi, Geneviève Blouin sait nous tenir en haleine.
Elle nous charme, aussi, par sa galerie de personnages aux origines et perspectives diverses, trimbalant, chacun, tout au long de cette enquête, leurs qualités et leurs défauts : Miuri Mishima-Sauvé, « minuscule bouddha punk », toujours étonnée –« elle vivrait au poste de police si elle le pouvait »- que le travail, au Québec, à l’opposé de son Japon natal, n’est pas l’unique but de l’existence ; son partenaire Jacques Deslondes, « le seul noir du groupe », l’éternel entre-deux, tant dans sa vie sentimentale que dans sa carrière, s’engageant dans un cul-de-sac par sa « bonne nature », ni assez dure, ni assez bureaucrate ; et Nicole Aubry, bien sûr, « petite boule d’énergie pétillante », passionnée d’arts martiaux et esprit fureteur, condamnée, malgré tout, à un métier de secrétaire à la centrale de police car « il faut bien vivre ».
Elle nous fait vibrer pour ce trio d’héros et d’héroïnes complexes et téméraires. Elle sait, surtout, témoignage de ses talents, aborder un sujet explosif, un délicat débat moral, celui de l’avortement, en faisant preuve de nuances, laissant les points de vue les plus divers s’exprimer, opposant les arguments de ceux qui se veulent les protecteurs « à tout prix » des droits de l’embryon, à ceux qui refusent de voir de les femmes comme de « simples incubatrices ».
Geneviève Blouin nous confronte, donc, à des personnages « en quête », tant dans leur vie intime que professionnelle. Elle nous invite aussi, romancière astucieuse, lucide et critique, à l’ouverture, à réfléchir sur les réalités du Québec du XXIe siècle, où « les lois ont changé, les tabous sont tombés, mais les habitudes ont la vie dure ».
Le mouroir des anges
Miuri Mishima-Sauvé est toujours la première enquêtrice à se pointer au poste. Élevée au Japon, elle ne s’est toujours pas habituée à la philosophie nord-américaine où le travail n’est qu’un élément de l’existence parmi d’autres. Mais ce matin, tout le monde est à l’heure, car la veille l’avorteur a encore frappé. Dans sa tête, elle revoit la femme couchée sur le dos, robe de chambre remontée jusqu’à la taille, cuisses ouvertes sur un océan de sang… et toujours cet ange de plâtre en guise de signature. Elle sait qu’ici l’avortement soulève les passions. Or, ce qui la turlupine, c’est l’illogisme du tueur: pourquoi avorte-t-il des femmes qui avaient déjà choisi d’opter pour cette procédure ?
AcheterRetrouvez toutes nos références
Notre catalogue complet
Commentaires