Ils sont bien vilains, mais nous ne cachons pas notre plaisir, avouons-le, en les reconnaissant sur la page couverture : les Joker, Iznogoud, J.R. de Dallas, ou encore Cartman de la série South Park, exhibant avec ravissement sa paire de fesses. Ces idoles peu recommandables sont les vedettes incontestées du corrosif et décapant Carrément méchant !, un album malicieusement illustré publié cette année chez Cherche Midi, et qui fait l’exploration, tant dans la sphère politique que culturelle, du mauvais esprit, des années soixante à aujourd’hui. Une forme d’éloge, en soi, du pouvoir rédempteur de l’irrévérence, car, comme l’évoque justement le sous-titre : « parce que s’il ne fallait aimer que les gentils, nous serions morts d’ennui ».
Les méchants sont indispensables, cela saute aux yeux, soutient, bien sûr, en préface, l’avocat Richard Malka, défenseur du Charlie Hebdo : « Ils suscitent la bonté en réaction à leurs mauvaises actions ou paroles (…). Ils nous coalisent contre eux ». En cette « énième résurgence du mythe de la pureté », toutefois, certains veulent les éliminer complètement : « Seuls ceux qui s’en croient exempts peuvent pouvoir se dispenser des monstres symboliques. Et c’est ainsi que le mal prospère librement en eux. Les autres, ceux qui se savent ambivalents, ont l’humilité de préférer l’apprivoiser (…). Briser les miroirs de nos ténèbres que sont les méchants ne relève pas du progrès et ne nous rendra pas meilleurs, c’est un réflexe ancestral qui nous conduit pas à pas vers l’obscurité ».
«Sacrés sont les méchants, les derniers remparts des libertés ! ».
Carrément méchant ! rend d’abord hommage, on s’en doute, au magazine Hara-Kiri, à ce précurseur de Charlie Hebdo sachant rire des moches, des pauvres («l’acmé de la méchanceté») « ignorants et pollueurs ».
Il nous fait apprécier les vacheries politiques que savent si bien pratiquer les hommes ou femmes d’État (Chirac sur Thatcher, en 1981 : « Mais qu’est-ce qu’elle me veut en plus cette ménagère : mes couilles sur un plateau ? ».
Il nous remémore cette image de 1965, devenue « ultra-virale », d’une spectaculaire gifle de Batman à Robin. « Gentil, c’est fini », tel est le message de cette scène iconoclaste. Le génial humoriste René Goscinny l’a deviné depuis longtemps, lui qui atteint la « perfection dans l’ignoble », dans les années cinquante, avec une créature ayant pour nom Joe Dalton, récidivant ensuite en 1962 avec Iznogoud, « un personnage tellement méchant qu’il va en devenir sympathique ».
« Meilleur est le méchant, meilleur est le film ». Qui croyez-vous ont fait de Psycho, de Scarface des chefs-d’œuvre ? Que préférez-vous : le petit gazouillis de l’adorable mogwai, ou le délire destructeur des gremlins ? Qui triomphe dans notre adoration : des héros, vertueux et gentils, tels Luke Skywalker et Peter Pan, ou de la mauvaise graine du type Darth Vader ou Capitaine Crochet ?
Jack Palance, Robert Mitchum, Lee Marvin, Christopher Lee, Christopher Walken, Jack Nicholson : tous ont la « gueule de l’emploi », tous tirent gloire de leur renommée cinématographique de « détraqués ». Ajoutons-y Joe Pesci, spécialiste des « crapules addictives » des films de Scorsese, et Gérard Jugnot, en psychopathe « drôle et méchant », découpeur de cadavre, du Père Noël est une ordure, ou en canaille, traite de service, de Papy fait de la Résistance.
Du côté féminin, la si cruelle Glenn Close de Fatal Attraction et 101 dalmatiens reçoit, maintenant, une vive concurrence de Robin Wright (House of Cards).
« Good Guys Finish Last » nous rappellent aussi, dans le monde sportif, les mauvais garçons John McEnroe, Jimmy Connors, Mike Tyson,…
Les gens de plume manient aussi l’art de l’irrespect, tels ces Michel-Antoine Burnier et Patrick Rambaud qui, dans un Roland Barthes sans peine, soulignent « qu’une proposition simple doit toujours être compliquée », ou ce Guy Debord de l’Internationale situationniste, répliquant dans une lettre de 1969, à Claude Gallimard : « tu l’as dans le cul ».
Rappelons-nous, également, Sacha Guitry commentant, ainsi, Le soulier de satin de Paul Claudel : « Heureusement qu’il n’y avait pas la paire », ou cette Lune dans le caniveau, de Beneix, transformée en Le tout-à-l’égout, par le commentateur du Canard enchaîné, ou, mieux encore, Gérard Lefort donnant son avis, en 1997, sur Le jour et la nuit de Bernard-Henry Lévy : « Je suis allé à la séance de 18 heures, deux heures plus tard, j’ai regardé ma montre : il était 18 h 20 ».
Les critiques ratent parfois méchamment leur cible, tels ce Jean-Louis Bory résumant comme ça, dédaigneusement, Le Parrain : « ce n’est pas de la crotte de bique, mais de la bouse de mammouth », ou ce type de Libération, en 1985, perversement heureux d’abattre, en flamme, Retour vers le futur : « un des plus consternants navets qu’ait produits la bande à Spielberg ».
Il y a, enfin, à ne pas oublier, dans ce vaste répertoire de méchants, ces personnalités publiques dont la détestation atteint un statut planétaire, soit parce qu’elles ont brisé des ménages (Yoko Ono, Camilla,…), ou qu’elles s’amusent, sans vergogne, à faire de vilaines petites choses en politique (Nixon, Thatcher, Trump, Poutine,…). N’avons-nous pas, d’ailleurs, au Québec, tant aimé détester Pierre-Elliott Trudeau?
De grands oubliés dans ce Carrément méchant !? La « Wicked Witch of the West » du Wizard of Oz (le film date toutefois de 1939, une période que ne prétend pas explorer l’album) ? Le Hans Gruber, du premier Die Hard (mais l’irrespect, une des qualités premières d’un vilain, est cette fois, manié par le « bon » John McLane) ?
Du solidement fouillé, donc, dans ce tour d’horizon salutaire de la méchanceté créative.
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