Pilleurs de rêves

Frenchie se sauve. Le souffle saccadé, ses pieds martèlent le sol instable de la forêt. Comme la majorité des membres des Premières Nations, l’aiguille de sa boussole pointe plein nord dans l’espoir d’échapper aux Recruteurs ; ces employés du gouvernement dont le mandat est de traquer et de capturer son peuple. Car dans un monde au bord  du gouffre, sans cesse bombardé par la catastrophe, la capacité qu’à l’Homme de rêver s’amenuise dangereusement. Et qu’est-ce que l’humanité sans rêve? Pour contrer cette anémie d’espoir, un antidote est élaboré à partir de la moelle des amérindiens qui sont les seuls à avoir conservé cette faculté essentielle.  La chasse est ouverte afin d’obtenir la précieuse substance et avec elle, s’amorce un véritable génocide culturel.

Bien qu’enraciné dans un univers post-apocalyptique, le roman de Cherie Dimaline remet en place les paramètres socio-historiques du 19e & 20e siècle qui ont conduit à l’établissement des pensionnats autochtones et aux abus qu’ils ont engendrés. De fait, l’univers dans lequel évolue Frenchie et sa bande est soumis à ce même rapport de domination qui ne vise pas ici à assimiler une culture mais bien à l’anéantir. Ce colonialisme 2.0 crée un environnement d’une sauvagerie inédite où l’angoisse, la violence et l’inhumanité font partie intégrante du quotidien. La peur et la haine s’immiscent entre les pages du roman alors que son écrivaine décrit avec force détails les brutalités de cette dérive humaine trop vraisemblable pour se cantonner uniquement aux limites du fictif.

Mais dans ce monde o la peur des autres est un impératif, Frenchie et sa bande découvriront que l’espoir, l’entraide et l’ouverture sont peut-être les seules vraies clés de leur survie. Alors que le gouvernement tente de les diviser, c’est sur la force de la communauté qu’ils décident de miser. Pour percer la noirceur et l’incertitude, les histoires qu’un peuple porte comme un lègue sont à la fois des points d’ancrages et des repères sûres contre l’anéantissement. Les transmettre, c’est exister.

Roman important, Pilleurs de rêves de Cherie Dimaline trace les contours d’un futur effrayant qui aurait pu être tout autre si on s’était posé les bonnes questions: Étaient-ils si différents de nous? Aurions-nous agi comme eux si on avait eu à choisir?