Pour en finir avec les ennemis de la littérature

Il est des plus convenus ce début d’intrigue du Nocturne de Gibraltar de l’italien Gennaro Serio, publié chez l’Orma dans sa collection Plurabelle. Un journaliste mexicain est retrouvé mort dans un salon de thé d’un hôtel de Barcelone.

Un brin d’étonnement surgit lorsque l’écrivain Enrique Vila-Matas est soupçonné d’être l’auteur du meurtre.

Notre stupéfaction s’accroit alors que le détective chargé de l’enquête s’avère être « un fier ennemi des lettres » et que sa sœur, médecin légiste et lectrice très cultivée, conclut son autopsie de cette façon : « […] blessé à mort par l’absence d’une communauté intellectuelle, et par apparition consécutive d’une atomisation culturelle et sociale dévastatrice. »

Nous avons absolument la confirmation que cette enquête policière dévie vers des lieux insoupçonnés lorsque nous assistons, au milieu du récit, à un championnat mondial des détectives littéraires se tenant au Portugal. C’est là où se confrontent le Maigret de Simenon et le frère Guillaume de Baskerville d’Eco, le Marlowe de Chandler et le Poirot d’Agatha Christie.

Gennaro Serio, on le devine, s’amuse gaillardement à saboter le roman d’investigation, enclenchant un dispositif romanesque polymorphe (lettres, entretiens) et audacieux. Ce roman tient à la fois de l’hommage et de la parodie. C’est l’occasion, enfin, d’en finir avec les pires scélérats de la planète : les ennemis de la littérature.

Remontant la piste de son écrivain assassin, le détective « ennemi des lettres » va entreprendre un long voyage « pour rien », effectuant un moche et lent détour le menant à Gibraltar. Là, à un endroit où la littérature ne parle que de littérature, il est accueilli en poète-détective, celui qui cesse de se poser des questions.

Allez-vous accompagner Serio dans cette danse inspirée sur le cadavre exquis de la littérature policière ?

– Christian Vachon (Pantoute), 19 novembre 2023